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Les Initiales du BTP : « Un état des lieux du secteur » (Christophe Possémé, CCCA-BTP)

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Mutations sectorielles, avenir du financement de la formation, transformation des CFA… Après l’organisation des Initiales du BTP (11 mars 2025, Paris La Défense), Christophe Possémé, Président du CCCA-BTP, dresse le bilan de l’événement et revient sur les enjeux abordés à cette occasion.

Christophe Possémé, Président du CCCA-BTP - © D.R.
Christophe Possémé, Président du CCCA-BTP - © D.R.

Pourquoi avoir organisé Les Initiales du BTP et quels étaient les enjeux de cet événement ?

Il s’agissait tout d’abord de faire un point rétrospectif six ans après la réforme de la formation professionnelle de 2018, qui a marqué un tournant pour l’ensemble de la formation professionnelle en général et pour le secteur du BTP en particulier. Nous souhaitions également ouvrir des perspectives et réfléchir collectivement aux défis à venir, notamment en matière de financement, de pédagogie et d’innovation.

La loi « Avenir professionnel » a bouleversé le paysage de la formation en alternance en ouvrant le marché à tous les acteurs, publics comme privés. Pour le CCCA-BTP, cela a représenté un changement stratégique majeur : nous sommes passés d’un rôle d’animateur d’un réseau de CFA à gouvernance paritaire à un organisme agissant de manière universelle au profit de tous les acteurs de la formation professionnelle initiale et continue.

Ce changement profond a-t-il été bien perçu par les professionnels du secteur ?

Lorsque j’ai été élu président du CCCA-BTP en 2022, trois ans après la mise en œuvre de la réforme de la formation professionnelle, j’ai constaté que certains acteurs n’avaient pas encore pleinement intégré cette transformation. Certains concevaient encore le CCCA-BTP comme un organisme exerçant ses missions seulement au profit d’un réseau de CFA.

Nous ne sommes plus seulement un acteur du réseau paritaire

C’est notamment pour cette raison que nous avons fait évoluer notre communication, changée notre logo et redéfini notre rôle et notre stratégie. Le CCCA-BTP est désormais un outil au service de l’accompagnement de l’ensemble des acteurs du secteur : CFA, entreprises, apprentis, partenaires sociaux et institutions publiques.

Quels étaient les autres enjeux abordés lors de cette journée ?

Dans un contexte de forte évolution, nous souhaitions avec Les Initiales du BTP dresser un état des lieux du secteur. Deux grands sujets ont en particulier structuré nos discussions :

  • Quelles sont les mutations dans la façon de former ? C’est un sujet important évoqué au cours des conférences mais également grâce à certaines solutions présentées et issues de quelques-uns des 70 projets finalisés, ayant bénéficié d’un financement dans le cadre des appels à projets organisés par le CCCA-BTP et que nous avons présentés sur un espace salon.

  • Quel avenir du financement de la formation ? L’objectif était de nous interroger collectivement sur le modèle économique de l’apprentissage dans les années à venir.
    • Si la montée en puissance de l’apprentissage a été largement soutenue par l’État ces dernières années, grâce à des niveaux de prise en charge du contrat d’apprentissage (NPEC) plutôt élevés et des primes à l’embauche d’apprentis attractives, qui ont permis d’atteindre l’objectif de plus d’un million d’apprentis, l’État commence à revoir sa politique en la matière.
    • Dans le BTP, il faut rappeler que nous sommes passés de 63 000 apprentis en 2013 à plus de 105 000 en 2023-2024.

À votre avis, quelles sont les conséquences de cette réduction progressive du soutien financer de l’État à l’apprentissage ?

La mise en péril l’équilibre économique de nombreux CFA

La baisse des primes à l’embauche passées de 6000 à 5000 euros, avec de nouvelles baisses annoncées, et la réduction des NPEC risquent d’être préjudiciables à l’équilibre économique de nombreux CFA. Certes, en 2024, les comptes d’exploitation étaient positifs pour 98 % des CFA, mais nous allons rentrer dans une période où l’État cherche à réguler davantage le monde de l’apprentissage.

Les plus exposés sont les CFA situés en zone rurale et ceux qui forment aux niveaux CAP et bac professionnel. Plus un CFA a de petits effectifs, plus il devient vulnérable. Si le financement ne permet plus d’équilibrer les coûts, certains CFA seront contraints de fermer des sections, ce qui aura un impact direct sur l’attractivité de l’apprentissage.

En tant que chef d’entreprise, je comprends la nécessité d’évoluer dans un environnement concurrentiel, avec une logique de marché, mais nous devons absolument assurer le maintien d’un niveau de qualité élevé de l’apprentissage. Si l’État se concentre sur la réduction des coûts, cela se fera au détriment des entreprises et freinera la dynamique positive de l’apprentissage.

S’inspirer d’autres modèles, comme celui de l’Allemagne, ne doit pas signifier de réaliser un simple copier-coller. L’Allemagne possède un système d’alternance efficace depuis des décennies, qui a fait ses preuves. Le modèle que nous avions initié en France était très prometteur et, selon moi, il représente l’avenir. Nous ne devons pas casser cette dynamique.

Que demandez-vous à l’État pour ne pas risquer de remettre en cause le succès de l’apprentissage dans le BTP ?

Je défends notamment la gratuité des formations pour les niveaux 3 et 4, quelle que soit la voie de formation ou la filière choisie. Concrètement, qu’il s’agisse d’un établissement public ou privé, l’apprentissage devrait être accessible sans frais pour les jeunes, sur le même principe que l’enseignement initial jusqu’au niveau bac.

Qu’il s’agisse d’un bac général, d’un bac professionnel, d’un CAP ou d’un BP, ces formations devraient être sans coût supplémentaire tant pour les entreprises que pour les jeunes.

En réduisant les NPEC et en fragilisant le modèle de l’apprentissage, on risque à très court terme - d’ici 2026 ou 2027 - de voir certains centres de formation d’apprentis contraints de fermer des sections de niveaux 3 et 4 pour des raisons financières.

Qui devra assumer le reste à charge ?

Par ailleurs, la réduction des NPEC soulève une autre question : qui devra assumer le reste à charge ? Sera-t-il imputé aux entreprises ou aux familles des apprentis ? Je pose la question directement : est-ce que le reste à charge doit peser sur les entreprises alors que l’on est sur la formation initiale ?

Je rappelle que seules 12 % des entreprises du BTP ont intégré des alternants et il s’agit principalement de TPE/PME.

Les CFA peuvent-ils trouver d’autres sources de financement ?

Oui, mais cela suppose une transformation du modèle économique des CFA. Aujourd’hui, la plupart fonctionnent encore comme des structures subventionnées. Or, la réforme de 2018 leur impose d’adopter une logique plus entrepreneuriale. Parmi les pistes envisageables évoquées au cours des Initiales du BTP, je citerais :

• Le développement de l’activité de la formation continue pour les professionnels en complément de la formation initiale.
• La mutualisation des équipements et infrastructures pour réduire les coûts.
• Nouer des partenariats plus étroits avec les entreprises pour répondre à leurs besoins concrets en compétences.

Quelles ont été les attentes vis-à-vis du CCCA-BTP, formulées par le CFA, au cours des Initiales du BTP ?

Nous faisons partie des interlocuteurs consultés et écoutés par l’État, car nos branches du bâtiment et des travaux publics sont reconnues pour leur action sur l’ensemble du secteur de la formation en alternance.

De leurs côtés, les organismes de formation par apprentissage aux métiers du BTP sont conscients des défis à venir et souhaitent une plus grande coopération et une adaptation rapide aux évolutions pédagogiques. Ils attendent du CCCA-BTP qu’il joue un rôle d’accompagnateur, de facilitateur et de catalyseur d’innovations, notamment en testant de nouvelles modalités de formation et de financement.

Nous voulons que le CCCA-BTP devienne un véritable laboratoire d’expérimentation

Nous travaillons déjà en lien étroit avec les ministères, notamment ceux de l’Éducation nationale et du Travail et de l’Emploi, l’AFPA et les branches professionnelles pour faire évoluer les référentiels et garantir une formation adaptée aux besoins en compétences des entreprises et du marché, mais aussi aux attentes des nouvelles générations.

Mais au-delà de cela, notre objectif est que le CCCA-BTP devienne un véritable laboratoire d’expérimentation, en lançant des appels à projets pilotes pour tester des formats pédagogiques innovants, que ce soit en matière de digitalisation, de modularité des formations ou de nouveaux dispositifs de financement.

Il est essentiel d’investir de manière pertinente, afin que les outils mis à disposition soient réellement utilisés et rentabilisés. En effet, un investissement n’a de sens que s’il est exploité de façon optimale.

Par analogie, un robot industriel fonctionnant seulement trois heures par jour ne permet pas un amortissement efficace. Il en va de même pour la mutualisation des plateaux techniques : sans une utilisation rationnelle, les ressources financières risquent d’être dispersées sans garantir un niveau homogène de formation sur l’ensemble du territoire.

Assurer une qualité pédagogique uniforme

L’enjeu principal est d’assurer une qualité pédagogique uniforme pour toutes les formations aux métiers du BTP, quel que soit le lieu d’apprentissage. Ce n’est qu’en garantissant cette équité que le CCCA-BTP pourra pleinement accomplir sa mission. Que l’on se trouve à Rodez, dans les Ardennes ou à Lyon, chaque apprenti doit bénéficier du même niveau de qualité en matière de formation et d’équipements.

Pourquoi la RSE est-elle devenue un enjeu stratégique pour les organismes de formation du BTP ?

Cette question s’inscrit dans l’air du temps et concerne toute une génération, mais pas uniquement. Si l’on évoque les jeunes, ils ne sont pas les seuls à être sensibles aux enjeux de la RSE. Tout dépend de la culture dans laquelle chacun a évolué et de la manière dont sa perception change au fil de sa carrière.

De nouvelles directives apparaissent

Par ailleurs, l’Europe impose une réglementation en la matière. La question est donc double : existe-t-il une volonté intrinsèque d’adopter une démarche RSE ? Et, au-delà de cette volonté, quelles sont les obligations normatives imposées par l’Union européenne ? En tant que chef d’entreprise, je constate que de nouvelles directives apparaissent et que, dans les années à venir, ces exigences se généraliseront progressivement dans le domaine économique.

Il est donc essentiel d’accompagner cette évolution en formant les jeunes, afin que ces pratiques deviennent une norme. Un exemple rassurant en ce sens est celui de la sécurité sur les chantiers.

  • Ce sujet est fondamental, car de nombreuses situations de travail présentent des risques. C’est en intégrant dès le départ les bons gestes, les équipements adaptés et l’usage du matériel adéquat que ces notions s’imposeront naturellement aux nouvelles générations.
  • Aujourd’hui, porter des gants, un casque ou des bouchons d’oreilles est une évidence. Pourtant, par le passé, ces équipements n’étaient pas systématiquement fournis. Travailler sans protection était courant et l’achat de chaussures de sécurité, par exemple, relevait souvent d’une initiative personnelle. Porter des gants pouvait même être perçu comme un signe de faiblesse.
  • Désormais, un jeune sortant d’un centre de formation est habitué à porter ses EPI (équipements de protection individuelle). Lorsqu’il arrive sur un chantier, cette pratique lui semble naturelle, et il n’est plus nécessaire de rappeler son importance.

Il en va de même pour la gestion des ressources et la réduction du gaspillage. En les sensibilisant dès leur formation à des gestes simples, comme limiter la consommation d’eau, fermer les robinets en quittant les installations ou éteindre les lumières, ces comportements deviendront des réflexes. Ainsi, dans dix à quinze ans, ces pratiques s’imposeront comme une norme dans le secteur.

Les CFA doivent donc intégrer des modules spécifiques sur l’écoconstruction, la rénovation énergétique et l’optimisation des chantiers.

  • Il est essentiel que les apprentis soient formés aux nouvelles techniques, par exemple : l’utilisation de matériaux biosourcés et de bétons décarbonés, la gestion des déchets sur chantier et la réutilisation des matériaux ou encore les solutions d’efficacité énergétique appliquées aux bâtiments.
  • Ces sujets ne doivent plus être considérés comme des « plus » dans la formation, mais comme une nouvelle norme dans l’apprentissage des métiers du BTP.

Vous avez également abordé le sujet de la place de l’IA dont vous dites qu’elle va devenir omniprésente. Quel est l’enjeu pour les CFA du BTP ?

L’enjeu n’est pas de mettre cette évolution de côté, mais d’acculturer nos jeunes salariés. Il s’agit d’intégrer ces changements aussi bien dans la formation des apprentis que dans celle des salariés en formation continue.

L’utiliser efficacement pour simplifier les processus

D’ailleurs, beaucoup expérimentent déjà l’intelligence artificielle de manière autonome dans leur quotidien. L’enjeu est donc de comprendre comment l’utiliser efficacement pour simplifier les processus au sein de l’entreprise. Certains salariés et apprentis développent naturellement une appétence pour la création de modèles d’accompagnement, mais il est également essentiel de collaborer avec des start-ups et des développeurs capables de concevoir des solutions adaptées.

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle reste encore abstraite pour beaucoup. Nous n’en maîtrisons qu’une infime partie et avons du mal à en mesurer pleinement le potentiel. Pourtant, elle s’intègre progressivement dans tous les logiciels métier. Même les outils de visioconférence en tirent parti, en permettant, par exemple, la retranscription automatique des échanges et la génération de résumés.

Y a-t-il, selon vous, d’autres enjeux auxquels les OF doivent répondre ?

Les véritables enjeux résident dans l’écoute attentive des besoins des entreprises. Il s’agit de savoir qui est le client et qui doit aller chercher le marché. Est-ce l’entreprise qui doit contacter le centre de formation, ou est-ce le centre de formation qui doit prendre l’initiative ?

Quels sont les grands projets du CCCA-BTP pour 2025 ?

L’innovation pédagogique restera une priorité

En 2025, le CCCA-BTP poursuivra plusieurs projets structurants pour assurer une haute qualité pédagogique et de service sur l’ensemble des territoires et anticiper les évolutions du secteur.

Le programme BTP Mobilité +, que nous menons dans le cadre du programme Erasmus + de la Commission européenne, sera renforcé afin d’offrir aux apprentis des opportunités de mobilité à l’étranger, favorisant ainsi l’acquisition de nouvelles compétences et une meilleure employabilité.

Parallèlement, le programme Renoboost que nous pilotons permettra d’affiner la cartographie des besoins en compétences sur le territoire, afin d’adapter l’offre de formation aux exigences du marché du travail et aux métiers d’avenir.

L’innovation pédagogique restera une priorité avec les Journées de l’innovation pédagogique, destinées à expérimenter de nouvelles méthodes d’apprentissage, notamment autour du numérique et de l’intelligence artificielle.

En complément, notre incubateur de start-up WinLab’continuera d’identifier des solutions innovantes, qui seront ensuite testées et expérimentées au sein de l’Accélérateur pédagogique du BTP que nous avons créé, notamment en lien avec la construction durable et la performance énergétique.

Enfin, nous accompagnerons la modernisation des CFA, en particulier sur la rénovation énergétique des infrastructures, pour en faire des modèles de performance et d’éco-responsabilité.

Ces initiatives visent à renforcer l’attractivité et la qualité de la formation en alternance, tout en anticipant les mutations du BTP et les attentes des entreprises.