Jacques-Olivier Hénon, CCCA-BTP : « Mieux définir l’apprentissage, en garantir la qualité et l’avenir »
À l’occasion de l’événement « Les Initiales du BTP » organisé par le CCCA-BTP le 11 mars 2025, Jacques-Olivier Hénon, directeur des Politiques de formation et de l’Ingénierie pédagogique du CCCA-BTP, revient sur les enjeux liés à la réforme de l’apprentissage de 2018, l’évolution de la perception de cette voie de formation, et sur les innovations pédagogiques indispensables pour répondre aux défis du secteur.
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Pourriez-vous nous rappeler les principaux objectifs et les mesures de la réforme de l’apprentissage de 2018, ainsi que ses implications pour le CCCA-BTP et ses parties prenantes ?
La réforme de 2018 visait à développer massivement l’apprentissage. Pourquoi ? Parce que les études montrent que les personnes formées en alternance connaissent beaucoup moins de périodes de chômage tout au long de leur carrière.
Pour favoriser cela, la réforme a libéralisé l’accès à la création de CFA (Centres de formation d’apprentis). Aujourd’hui, tout organisme peut ouvrir un CFA sans autorisation préalable, bien que des contrôles soient réalisés a posteriori.
Cette ouverture a permis d’augmenter considérablement le nombre d’apprentis, mais elle a aussi engendré des questions sur la qualité des formations.
Cette réforme a-t-elle eu des répercussions directes sur l’organisation et les activités du CCCA-BTP ?
Oui, elle nous a poussés à revoir notre positionnement. Le CCCA-BTP a renforcé son rôle de garant de la qualité des formations en accompagnant les CFA, tout en leur laissant plus d’autonomie. La question de la qualité est devenue centrale pour nous.
Nous devons faire face à des pratiques pédagogiques très disparates entre les CFA. Certaines structures n’ont, par exemple, pas mis en place de carnet de liaison entre l’entreprise et le centre de formation, ou bien les tâches confiées aux apprentis en entreprise ne correspondent pas toujours à leur cursus. Ces dysfonctionnements posent problème, d’où la nécessité de mieux définir ce qu’est l’apprentissage.
Une des thématiques de l’événement « Les Initiales du BTP » du 11 mars 2025 porte justement sur la redéfinition de l’apprentissage. Pourquoi est-ce si important aujourd’hui ?
La définition actuelle de l’apprentissage, selon laquelle « la théorie se fait au CFA et la pratique en entreprise », est trop limitée. Cette vision cloisonnée ne correspond pas à la réalité pédagogique de l’alternance.
La progression des compétences repose sur une collaboration étroite entre CFA et entreprises.
Par exemple, les apprentis doivent souvent mobiliser des notions théoriques en situation de travail : les mathématiques lors d’un chantier ou la communication avec les clients. Inversement, les plateaux techniques dans les CFA permettent de mettre en œuvre des gestes professionnels. Cette interaction permanente entre théorie et pratique est essentielle.
Vous soulignez l’importance de la coopération entre les lieux de formation. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Tout à fait. L’un des fondements de l’apprentissage est la coordination entre les différents espaces de formation. Cette collaboration permet de dépasser les contraintes de temps : en moyenne, les apprentis passent une semaine en CFA pour trois semaines en entreprise.
Ce temps passé en entreprise doit être exploité pédagogiquement, en lien avec le travail fait au CFA.
Cela requiert un travail collaboratif entre les formateurs, les maîtres d’apprentissage et les responsables pédagogiques. C’est cette dynamique qui permet d’atteindre les objectifs de certification.
Vous avez évoqué la perception de l’apprentissage. A-t-elle évolué depuis la réforme ?
Oui, énormément. Aujourd’hui, l’apprentissage jouit d’une meilleure image auprès des jeunes, des familles et des entreprises. De plus, nous avons observé une diversification des profils. Certains jeunes, après avoir obtenu un diplôme universitaire, choisissent l’apprentissage pour se réorienter vers un métier manuel.
Cette évolution témoigne du fait que les jeunes et leurs parents comprennent désormais que l’apprentissage est une voie d’excellence, avec une insertion rapide et durable sur le marché du travail.
Quels autres éléments expliquent cette attractivité renforcée de l’apprentissage ?
Les apprentis bénéficient d’une rémunération tout en poursuivant leur formation gratuitement. C’est un argument fort. En outre, ils acquièrent une expérience professionnelle significative, ce qui les rend immédiatement opérationnels.
Les employeurs préfèrent donc recruter des apprentis qui connaissent déjà les codes de l’entreprise et les réalités du métier.
Quelles innovations pédagogiques ont émergé depuis la réforme de 2018, notamment face aux défis technologiques et écologiques du secteur ?
La réforme a permis l’introduction de nombreuses innovations. Par exemple, nous avons développé la plateforme Aptyce, qui intègre des outils numériques et une intelligence artificielle appelée Robyn, conçue pour aider les formateurs.
L’usage de simulateurs et de réalité virtuelle est également en forte progression. Ces outils offrent des possibilités de formation qui seraient impossibles en conditions réelles, notamment pour simuler des situations complexes sur chantier.
L’intelligence artificielle suscite souvent des inquiétudes. Quelle est votre position sur son utilisation dans la formation ?
Pour nous, l’IA doit rester un outil au service des formateurs. Elle ne doit pas se substituer à eux. Historiquement, chaque révolution technologique a été perçue avec méfiance, qu’il s’agisse de l’écriture, de l’imprimerie ou d’Internet.
Nous pensons que l’IA peut permettre aux pédagogues de se concentrer sur les aspects les plus enrichissants de leur travail. C’est une révolution aujourd’hui, mais cela deviendra bientôt une évolution intégrée.
Vous parlez souvent de l’importance de la montée en compétences dans un cadre global. Quelle est votre vision sur ce sujet ?
L’apprentissage ne se limite pas à former des professionnels. Il prépare également les jeunes à devenir des citoyens engagés et responsables. La relation entre professionnalisation et citoyenneté est un enjeu majeur pour les années à venir.
Nous avons organisé des colloques sur ce thème et constatons un réel intérêt, tant de la part des formateurs que des décideurs politiques. Il est crucial que la formation professionnelle accompagne les jeunes dans leur insertion sociale et professionnelle.
En conclusion, quels sont les objectifs stratégiques du CCCA-BTP pour renforcer encore le développement de l’apprentissage ?
- Nous travaillons à moderniser les espaces pédagogiques, notamment en intégrant des outils numériques et des simulateurs.
- Nous réfléchissons aussi à rendre ces espaces plus polyvalents pour favoriser des approches pédagogiques transversales.
- Enfin, nous continuerons de garantir la qualité des formations, en renforçant le lien entre théorie et pratique, et en développant la coopération entre CFA et entreprises