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HCM : les contours extensibles d’un marché en croissance

Par Philippe Guerrier | Le | Core rh

La gestion du capital humain ou HCM en anglais est un segment en pleine évolution sur le marché des solutions RH. Discussions avec des experts issus d’Exaegis Markess, de DXC Technology et du Cercle SIRH et Digital RH.

HCM : comment définir les contours de ce marché en croissance (dossier spécial RH Matin) ?  - © D.R.
HCM : comment définir les contours de ce marché en croissance (dossier spécial RH Matin) ? - © D.R.

Sur le marché des solutions pour les DRH, le fait de définir le segment de la gestion du capital humain en entreprise est un exercice qui peut se révéler délicat au regard des visions exposées par les éditeurs et les experts.

S’il existe un tronçon commun dans les différentes approches HCM (pour Human Capital Management en anglais) comme la gestion des compétences, les variations sur le même thème sont infinies et révèlent certains frottements avec d’autres chaînons comme le SIRH voire le core RH.

Néanmoins, ses composantes sont essentielles à la transformation digitale de la fonction RH et, au-delà, à la transformation de l’organisation face à ses problématiques de gestion des ressources humaines.

HCM : les différentes perceptions

L’approche d’Exaegis Markess

Kevin Kowu, Exægis Markess - © D.R.
Kevin Kowu, Exægis Markess - © D.R.

Pour cerner le domaine HCM, des experts tendent à élargir le périmètre des fonctionnalités au regard de la capacité de la HCM à phagocyter des briques issues d’autres environnements RH.

  • « La définition de la HCM porte surtout sur la gestion des talents. Chez Exaegis Markess, nous considérons que la dimension HCM démarre à partir du moment où l’on a passé la phase d’onboarding : entretiens, formations, évaluations des compétences, mobilité. Ma conviction personnelle est que la gestion du capital humain débute dès le stade du recrutement.
  • Le marché de la HCM en France gagne de plus en plus en maturité. En 2025, trois volets cristalliseront l’attention des entreprises :
    • la formation,
    • la gestion des entretiens et évaluations dans un premier temps,
    • le gain de visibilité sur la gestion des compétences. L’employabilité des collaborateurs et la transversalité des compétences seront de plus en plus scrutées.
  • Les acteurs HCM se différencieront davantage par l’écosystème qu’ils seront capables de mobiliser autour de leurs offres, dans le but d’apporter plus de valeur ajoutée à leurs clients », déclare Kevin Kowu, Analyste Expert Marché Digital RH chez le cabinet d’études et conseil Exaegis Markess.

L’approche de DXC Technology

Xavier de Noblet, DXC Technology - © D.R.
Xavier de Noblet, DXC Technology - © D.R.

En qualité de Managing Partner - HCM Consulting chez DXC Technology du nom d’une entreprise de services numériques d’origine américaine (assistance à maîtrise d’ouvrage, conseil et intégration), Xavier de Noblet propose une autre perspective :

  • « Cela démarre à partir du moment où l’on s’occupe du développement de la personne dans l’entreprise. Le capital humain peut être pris sous différentes dimensions en fonction du profil des interlocuteurs.
    • S’il occupe une fonctions RH, la HCM peut englober la gestion des talents, le recrutement, les compétences, la mobilité professionnelle (interne et externe), la performance (évaluation, revue annuelle, amélioration en continu…) avec des objectifs mesurables et des récompenses. Tout sauf le périmètre de la paie.
    • Aussi, si je croise un cabinet spécialisé sur les rémunérations, cette dimension HCM est prise en compte dans l’optimisation des rémunérations pour conserver son capital humain.
    • Un cabinet d’avocats qui dispose d’une expertise dans le droit social serait aussi susceptible d’appréhender le capital humain », nuance l’expert.

HCM : quelles distinctions avec SIRH voire le core RH ?

L’approche de DXC Technology

« Tout dépend des implications. Par exemple, la GTA en fonction des usages et des activités est-elle rattachée au SIRH ? Dans le domaine de la paie, c’est dans le périmètre SIRH. Mais s’il s’agit de planification d’activités dans les hôpitaux, on sort du périmètre SIRH. Dès que l’on parle de SI qui a trait à la personne (collaborateur, salarié, prestataires externes, partenaires…), nous pouvons parler de SIRH », déclare Xavier de Noblet.

« Au sein du SIRH figurent plusieurs briques comme le SI « Talents » qui est l’équivalent du HCM, le payroll, les reporting RH, voire des modules comme la GTA qui peut être exploitée pour la facturation et la comptabilité dans les activités de conseil et, au final, de la performance des consultants », poursuit-il.

« Quant au core RH, il sert essentiellement à la gestion administrative qui englobe 80 % des données RH. Certes, c’est un volet important pour alimenter un SIRH mais il n’est pas le plus pertinent pour le développement de la personne », précise-t-il.

« Il ne faut pas non plus se voiler la face sur la dimension marketing du HCM : c’est plus attractif de parler de capital humain que de gestion RH », commente Xavier de Noblet.

Le point de vue du Cercle SIRH et Digital RH

Dans la nouvelle version du Benchmark SIRH 2024 récemment dévoilée, Le Cercle SIRH et Digital RH évoque la question de la HCM d’un point de vue opérationnel avec ses limites en matière de fonctionnalités et d’interopérabilité.

  • « La persistance de l’architecture SIRH de type Best-of-Breed fait ressortir le coût et le manque d’efficacité des solutions HCM, pour centraliser toutes les fonctions RH au sein d’un portail unique ;
  • Parfois tous les modules ne sont pas couverts au sein du HCM selon les priorités de déploiement et les ressources ou compétences mobilisées sur ces lourds projets », déclare Didier Borie, responsable SIRH de Pernod Ricard France, qui fait partie du comité de pilotage du Benchmark SIRH 2024 au sein du Cercle SIRH et Digital RH.
  • « Une solution HCM est idéalement désignée pour configurer le portail unique mais elle centralise rarement toutes les fonctionnalités, notamment en ce qui concerne les modules de gestion des temps de la paie ou de la formation.
  • En effet, les grands éditeurs internationaux n’intègrent pas les spécificités des normes françaises pour :
    • Gérer le temps de travail théorique versus réalisé ;
    • Être DSN compatible en matière de données ;
    • Piloter le plan prévisionnel de formation.

Ce qui implique l’existence d’interfaces plus ou moins sophistiquées telles que les API (Application Programming Interface ou interface de programmation d’application) qui permettent de connecter un logiciel ou un service à un autre logiciel ou service afin d’échanger des données et des fonctionnalités », poursuit Didier Borie.

HCM : le poids du marché avec ces principaux acteurs

International : le point de vue de Gartner

En octobre 2023, Gartner a publié l’étude Magic Quadrant for Cloud HCM Suites qui se concentre sur les solutions les plus pertinentes pour les entreprises de plus de 1000 salariés.

75 % des PME et grandes entreprises auront investi dans ce type de solutions d’ici 2026, évalue-t-il. Tout en considérant que 20 % à 30 % des organisations devront exploiter d’autres solutions pour combler leurs besoins en gestion RH.

Gartner retient trois larges composantes pour définir une suite HCM :

  • gestion administrative des ressources humaines ;
  • gestion des talents ;
  • gestion de services RH intégrés, incluant les règlements intérieurs d’entreprise et les guides de procédures pour les employés et les managers.

Voici le principal graphe Magic Quadrant for Cloud HCM Suites :

Magic Quadrant for Cloud HCM Suites par Gartner (octobre 2023) - © D.R.
Magic Quadrant for Cloud HCM Suites par Gartner (octobre 2023) - © D.R.

Les éditeurs de solutions sont classés en quatre catégories de positionnement :

  • « Leaders » : Workday, Oracle, SAP, Ceridian, SAP et UKG ;
  • « Challengers » : ADP ;
  • « Acteurs de niche » : Darwinbox, Infor, Cornerstone, Cegid, Yonyou ;
  • « Visionnaires » : aucun acteur recensé

France : le point de vue d’Exaegis Markess

  • « Au niveau international, Cornerstone demeure un incontournable.
  • Workday, avec les nouvelles fonctionnalités proposées, démontre un savoir-faire et une intégration de l’IA générative très intéressants qu’il faudra suivre en 2025 ;
  • Nous suivrons principalement Cegid, malgré une offre qui paraît décousue par certains clients et qui gagnerait à être plus cohérente. C’est l’éditeur qui affiche l’un des potentiels HCM les plus élevés du marché, mais qui est quelque peu entaché par une intégration des différentes briques acquises toujours en cours de rationalisation. Le rachat de Talentsoft a permis à l’éditeur d’améliorer significativement sa proposition de valeur, et celui plus récent de KMB Labs promet de belles avancées sur l’intégration de l’IA générative », répertorie Kevin Kowu, Analyste Expert Marché Digital RH d’Exaegis Markess.

  • « En France, dans l’exercice du Blueprint suites RH, le mapping que nous mettons à jour cette année sur les suites RH, nous avons été agréablement surpris par la proposition de gestion des talents d’Eurécia.
  • Des acteurs comme Lucca et Talentia se mobilisent aussi pour renforcer leur offre HCM, et Septeo montre des promesses que nous attendons de voir se réaliser.
  • Un peu plus éloigné du HCM, Neobrain se distingue par sa stratégie d’acquisition, un investissement important en R&D et une belle expertise autour de la gestion des compétences », indique Kevin Kowu.

HCM : tendances et perspectives

L’IA monte en puissance selon Exaegis Markess

« Le marché HCM français gagne de plus en plus en maturité. En 2025, trois volets cristalliseront l’attention des entreprises :

  • la formation,
  • la gestion des entretiens et évaluations dans un premier temps,
  • le gain de visibilité sur la gestion des compétences. L’employabilité des collaborateurs et la transversalité des compétences seront de plus en plus scrutées », évoque Kevin Kowu au nom de Exaegis Markess.

Quelles directions prendront les acteurs HCM ?

« Ils se différencieront davantage par l’écosystème qu’ils seront capables de mobiliser autour de leurs offres, dans le but d’apporter plus de valeur ajoutée à leurs clients », indique Kevin Kowu.

Le développement de l’IA intégrée dans les plateformes HCM devient un enjeu central. L’accélération observée avec l’IA générative dynamisera la concurrence.

  • « L’IA, dans sa forme plus traditionnelle, continue à faire évoluer les HCM, en améliorant le matching entre compétences et postes, le reporting et l’analyse prédictive.
  • L’essor de l’IA générative a le mérite d’éveiller l’intérêt des professionnels RH autour du sujet plus général de l’IA. Même si des questions éthiques se posent, son adoption s’améliore réellement », analyse Kevin Kowu.

« En 2025, nous devrions être en mesure de voir des intégrations d’IA générative dans les solutions des éditeurs SIRH du marché français. Jusque-là, les démonstrations que nous avons vues concernent :

  • L’amélioration de la communication entre le DRH et l’employé avec une interface augmentée. Cet effort d’amélioration du self-service aboutit à un « chatbot évolué » ;
  • L’optimisation de l’onboarding, avec des usages améliorant la qualité du processus d’intégration.
  • La production de contenu, notamment dans la création de fiches de poste et de contenus pour la marque employeur.
  • La gestion des compétences et des formations, renforçant le développement des collaborateurs », évoque Kevin Kowu.

« Selon les prévisions, les éditeurs qui intégreront le plus rapidement l’IA générative, avec des cas d’usage impliquant efficacement les collaborateurs au sein des logiciels de gestion des talents, se démarqueront. Car ils seront en mesure de créer un ROI réellement tangible pour les entreprises », poursuit-il.

La gestion des compétences est revalorisée selon DXC Technology

  • « La gestion des compétences prend de l’ampleur sous une approche renouvelée. Tous les grands éditeurs de solutions (Oracle, Workday, SuccessFactors, Cornerstone…) nous parlent de ce tournant, avec des acquisitions de start-ups à la clé ;
  • Il y a dix ans, ce sujet était déjà abordé en entreprise. La notion de compétence était considérée comme importante, mais personne ne savait comment s’y prendre. Les démarches GPEC n’aboutissaient à presque rien. Des référentiels de compétences étaient constitués mais il était difficile de les exploiter, faute de mises à jour. Les entreprises avaient tendance à baisser les bras, en considérant qu’elles perdaient du temps ;
  • Depuis quelques mois, on ressent un regain d’intérêt de la part des entreprises autour des compétences.
    • Elles ont vraiment envie de travailler sur ce sujet en s’appuyant sur le développement de l’IA qui a servi de déclic.
    • Elles facilitent la gestion de référentiels de compétences de façon plus rapide, plus évolutive et pro-active et l’exploitation des données.
    • L’approche par métier est dépassée au profit de l’approche par les compétences. L’auto-déclaration des compétences par les collaborateurs et l’évaluation par les managers permettent de créer un référentiel structuré et harmonisé en y associant du matching interne et externe », évoque Xavier de Noblet, Managing Partner - HCM Consulting chez DXC Technology.

  • « Les axes de motivation et d’engagements sont renforcés aujourd’hui. C’est même une transformation de modèle pour certains groupes du CAC 40 qui demandent de développer cette approche pour mieux répondre aux enjeux opérationnels avec des ressources de compétences placées en fonction des projets.
  • Les DRH pourraient mettre de côté l’architecture traditionnelle des métiers pour privilégier une architecture des compétences et, pourquoi pas, en y intégrant la dimension de la rémunération », déclare Xavier de Noblet.

Concepts clés et définitions : #HCM (Human Capital Management) : définition équivalente à la Gestion du Capital Humain, #Onboarding ou l’accueil des nouveaux employés, #SIRH ou Système d'Information des Ressources Humaines, #DRH ou directeur des ressources humaines