Formation

« La formation coûte désormais plus cher aux entreprises »

Le | Droit de la formation

Un sondage réalisé en juin 2019 par Comundi auprès d’un panel de 120 décideurs des ressources humaines et de la formation, révèle que la mise en place de la réforme génère un attentisme parmi les entreprises. Les plans de formations peinent en effet à se déployer, selon Claire Pascal, directrice générale de Comundi

« La formation coûte désormais plus cher aux entreprises » - © D.R.
« La formation coûte désormais plus cher aux entreprises » - © D.R.

Près de la moitié des professionnels RH et RF interrogés dans le cadre de votre sondage disent ne pas avoir encore engagé de plan de développement des compétences pour 2019. Comment l’analysez-vous ?

La réforme initiée par la loi du 05/09/2018 n’échappe pas à la règle constatée à chaque réforme : les entreprises attendent que les nouveaux dispositifs se mettent en place avant de s’en emparer, de prendre des décisions. La réforme de 2018/2019 est impactante avec la suppression de la mutualisation pour les 50-300 salariés, la nouvelle définition de l’action de formation, la formalisation de l’Afest, la transformation des Opca en Opco…Si la mutualisation a été supprimée depuis 2015 pour les plus grandes entreprises, toutes considèrent, depuis 2019, qu’elles sont désormais assujetties à un « impôt compétences » qui va financer le CPF. Elles ont l’impression de perdre la maîtrise de ce que leurs contributions vont financer. Jusqu’à présent, elles étaient redevables d’une obligation de financer leur plan de formation. Si elles n’utilisaient pas ces fonds, ils étaient perdus pour elles. Désormais, au-delà des contributions obligatoires sous la forme de cet “impôt compétences” qui sera prélevé directement par l’Urssaf en 2021, la formation constitue une ligne dans leur budget. Cette ligne pèse sur leurs coûts directs. En résumé, la formation coûte désormais plus cher aux entreprises.

Toutefois, l’obligation d’adaptation des salariés demeure. Les entreprises ne se sentent-elles plus liées par cette obligation ?

Avec la confirmation de l’application du barème Macron par la Cour de cassation, les entreprises peuvent être tentées de faire des arbitrages entre le licenciement ou l’adaptation des compétences de leurs salariés déclassés. Le risque, c’est aussi que les entreprises investissent désormais, en priorité dans les hauts potentiels, des salariés déjà qualifiés, ce qui irait à rebours de l’objectif poursuivi par la réforme de 2015 qui vise à ce que tous les salariés bénéficient d’actions de formation. Dans le même temps, on voit bien que l’accélération des transformations rend indispensables les investissements des entreprises dans la formation afin de maintenir leur compétitivité. La formation devient un aspect de la marque employeur. Les jeunes, lorsqu’ils sont recrutés, sont désormais plus exigeants sur ce que propose l’entreprise pour leur permettre d’entretenir leur employabilité et de développer leurs compétences. Les entreprises achètent ainsi davantage de formations aux softs skills qui permettent d’évoluer dans l’entreprise et de s’adapter plus facilement aux évolutions rapides des métiers.

Votre sondage révèle aussi que seuls 28 % des décideurs pensent mettre en place des stratégies d’abondement du CPF…

Le CPF a été promu comme étant un droit individuel. La communication qui va être faite à la rentrée sur l’appli CPF va réaffirmer ce principe. Mais les salariés vont vite se rendre compte que s’ils veulent mobiliser de manière autonome leur CPF, ce sera en dehors du temps de travail. Il faut être très motivé et avoir un projet bien défini pour se former hors temps de travail. Or, lors des entretiens professionnels, on constate depuis plusieurs années que seuls 2 % des salariés ont un projet professionnel aussi abouti. Le succès du CPF semble donc lié à une démarche de co-construction entre le salarié et l’employeur. Nous rencontrons des entreprises qui prévoient de signer des accords sur les abondements. Soit des abondements en temps pour les salariés qui ne veulent pas se former sur leurs congés ou leurs RTT, soit des abondements financiers si le projet du salarié rejoint les priorités de l’entreprise. Toutefois, à ce jour, les entreprises n’ont aucune visibilité sur la gestion par la CDC des abondements. L’application destinée aux entreprises est annoncée pour 2020. Il faut que l’entreprise soit impliquée dans la mobilisation du CPF, sinon il pourrait rester marginal.

Redoutez-vous le déploiement de l’Afest dans les entreprises qui pourraient faire moins appel à des formateurs externes ?

L’Afest exige un certain formalisme (définition de l’objectif, finalité de l’action, traçabilité…). Il y a d’ailleurs, sur ce point, un marché possible pour les entreprises de formation qui peuvent accompagner les entreprises dans la mise en place de l’Afest. L’Afest permet, sous certaines conditions de traçabilité, d’identifier des situations formatives, de formaliser les situations d’apprentissage sur le poste de travail et de les intégrer dans le nouveau plan de développement des compétences. Comundi va d’ailleurs proposer aux entreprises du conseil en ingénierie pour qu’elles puissent déployer l’Afest de manière adaptée et sécurisée. D’autre part, nous recevons de plus en plus de demandes de formation et d’accompagnement des formateurs internes à l’entreprise. Nous organisons par exemple des Learning Trips sur ce thème qui consistent à former « par l’exemple » ces formateurs en les introduisant dans d’autres entreprises qui ont des pratiques innovantes de formation interne.

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