Paie

Bulletin de paie simplifié : la difficile gestation (interview de Stéphane Liziard)

Par Philippe Guerrier | Le | Législation paie

Cet article est référencé dans notre dossier : Dossier logiciel de paie: le virage cloud et IA dans la gestion RH

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a avancé une proposition de « bulletin de paie simplifié » dans le projet de loi de Simplification de la vie économique. Mais tout est bousculé. Consultant et formateur en paie et administration RH, Stéphane Liziard explique les enjeux de cette réforme à l’horizon de plus en plus lointain.

Stéphane Liziard - © D.R.
Stéphane Liziard - © D.R.

Simplifier le bulletin de paie, un serpent de mer ? Le 24 avril 2024, le projet de loi de Simplification de la vie économique a été déposé au Sénat par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

Parmi les chantiers, figurent la volonté de « simplifier radicalement les démarches administratives » et « alléger les contraintes qui pèsent sur l’organisation des entreprises ». Le cabinet de Bruno Le Maire avait initié une proposition de « bulletin de paie simplifié ».

Mais la mesure a été retoquée par la commission spéciale au Sénat chargée de l’examen du projet de loi de Simplification de la vie économique.

« La commission souligne de façon préliminaire que le dispositif proposé a été unanimement critiqué par les organisations syndicales, tandis que les organisations patronales ont insisté pour leur part sur le fait qu’il n’apportait aucune simplification pour les employeurs », indique le rapport sénatorial de pré-examen du projet de loi publié le 28 mai. En conséquence, la commission a supprimé l’article 7 relatif à cette mesure de « bulletin de paie simplifié ».

Le dernier rebondissement est survenu dans la soirée du dimanche 9 juin 2024 avec la publication des résultats des élections européennes et la décision du Président de la République de dissoudre de l’Assemblée nationale. Le projet de loi de Simplification de la vie économique pourrait ne pas voir le jour avec le nouvel échéancier d’élections législatives prévues entre le 30 juin et le 7 juillet 2024.

Pour évoquer les enjeux de la simplification du bulletin de salaire, nous nous sommes entretenus avant les chamboulements dans la sphère politique avec Stéphane Liziard, auteur du guide « Comprendre le bulletin de paie, 100 questions pour décrypter ».

Ce consultant-formateur en paie et administration RH réactualise régulièrement ce guide didactique.

La version 2024, destinée aux DRH, managers, gestionnaires de la paie, vient d’être publiée aux Editions Gereso.

Bulletin de paie « clarifié », « rénové », « adapté »…D’un point de vue sémantique, il est difficile de s’y retrouver dans l’évolution légale au fil du temps qui affecte la présentation du bulletin. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, évoque désormais le bulletin de paie « simplifié ». Comment s’y retrouver ?

Cela fait 25 ans que nous entendons parler de la simplification du bulletin de paie. Souvent, la barre pour réformer est haute initialement. Si l’on gratte un peu, les gouvernements et les législateurs considèrent que les changements escomptés se révèlent plus compliqués que prévu.

  • Du coup, les touches successives apportées, qui avaient pour objectif initial la simplification, se transforment en enjeux de « clarification », « rénovation » ou « d’adaptation » du bulletin de salaire. Encore récemment, en juillet 2023, on a intégré le montant net social.
  • Cette phase d’adaptation est provisoire puisque l’arrêté du 31 janvier 2023 faisait état d’un bulletin de paie rénové qui devrait voir le jour en janvier 2025.
  • Mais, entre-temps, nous avons observé des évolutions du calcul du net social. Du coup, la rénovation de janvier 2025 a du plomb dans l’aile.
  • À cela s’ajoute le projet de loi relatif à la Simplification de la vie économique, qui est apparu en avril 2024 et qui est soutenu par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

Ce texte intègre un plan d’action global de simplification, qui concerne notamment le bulletin de paie, avec une mise en application à l’horizon 2027 [NDLR : échéancier qui devient désormais compliqué à tenir au regard de l’actualité politique].

Comment concilier la volonté de simplification du bulletin de paie alors que la dernière initiative forte a été de rajouter une ligne sur la feuille de salaire avec le montant net social ?

Avec l’arrêté du 31 janvier 2023, l’objectif était de mieux comprendre le calcul du montant net social. Initialement, certaines cotisations étaient déductibles et d’autres non. On s’y perdait. Une rebascule a été effectuée. Scinder les cotisations en deux grandes catégories n’avait plus vraiment d’intérêt. Au final, toutes les cotisations sont devenues déductibles du net social.

Avec la simplification du bulletin de paie, l’idée serait de masquer toutes les lignes de cotisations et de les fédérer sur une seule ligne. Mais, en même temps, il faudra toujours remettre une information détaillée au salarié qui présente tous les détails du bulletin de paie, notamment toutes les cotisations. Finalement, nous devrions parvenir à l’élaboration de deux bulletins de paie : une version simple et une version complète, ce qui, en termes de simplification, est une gageure !

Quelles sont les implications de cette modification des processus du côté des entreprises ?

Pour rappel, le bulletin de paie est un document officiel et normé. Côté employeur, il est difficile de parler de simplification des processus car il faudra s’adapter à une nouvelle trame du bulletin de paie pour la version simplifiée.

Il faudra proposer une double version (simplifiée et non simplifiée) à transmettre de façon systématique à tous les salariés chaque mois. Ce qui devrait constituer une charge de travail supplémentaire pour les entreprises, qui préféreraient une simplification des règles de calcul des cotisations (assiettes, tranches, taux, régulation de charges…). Cela reste une gymnastique compliquée.

Le Gouvernement souhaite passer de 55 lignes au maximum présentées sur un bulletin de paie à 15. Est-ce réalisable de votre point de vue ?

Le Gouvernement a une marge pour avancer rapidement sur la forme plutôt que sur le fond. Une version light du bulletin de paie simplifiée a déjà été présentée par Bruno Le Maire.

En supprimant l’affichage détaillé des cotisations salariales et patronales au profit d’un récapitulatif sur un document annexe, il est possible d’y parvenir sans nécessairement recourir aux organisations syndicales ou aux organismes sociaux.

Avec cet effort de lisibilité du bulletin de salaire, le bulletin de paie devient un outil de communication politique. D’un point de vue réglementaire, il suffira d’indiquer par arrêté ou par décret la liste des mentions obligatoires dans le bulletin de paie simplifié et d’intégrer ces nouveaux éléments dans le Code du travail.

En qualité de consultant-formateur en paie, les entreprises commencent-elles à vous contacter sur le sujet ?

Oui. Les entreprises voudraient savoir comment gérer l’évolution du bulletin de paie déjà prévue pour 2025 avec la réforme en cours. Les gestionnaires de paie demeurent dubitatifs sur les lois de simplifications qui se sont multipliées ces dernières années avec des objectifs de simplification jamais atteints.

Les éditeurs de logiciels de paie jouent-elles le jeu avec l’évolution réglementaire constante ?

La vie n’est pas si simple du côté des éditeurs de logiciels avec les nouvelles trames de bulletin de paie. Ils doivent se montrer agiles pour prendre en compte les changements réglementaires et les problèmes de conformité.

On a tort de considérer un logiciel de paie comme un logiciel de traitement de texte. Cela entraîne parfois des modifications importantes dans la structure informatique du logiciel et de règles de calcul.

Néanmoins, du côté des éditeurs, les risques associés à la simplification du bulletin de paie demeurent plus limités que ceux associés à l’établissement du prélèvement à la source par exemple. Avec le recul, cette vraie réforme en profondeur a été menée dans le sens de la simplification du recouvrement de l’impôt et elle a été correctement mise en œuvre.