La retenue à la source
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Le ministre des Finances et des Comptes publics et le secrétaire d’État chargé du Budget l’ont confirmé dans une communication au Conseil des ministres du mercredi 3 août 2016 : le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu sera bien mis en place à compter du 1er janvier 2018. Le compte à rebours est désormais lancé… Quelles sont les grandes lignes de ce futur dispositif et quelles seront les conséquences pour les entreprises ? Peuvent-elles dès aujourd’hui commencer à préparer leur paie à cette retenue à la source ? Autant de questions auxquelles nous tentons de répondre dans ce nouveau dossier spécial.
1 - Retenue à la source, mode d’emploi
Promesse de campagne en 2012 du candidat François Hollande, le projet de prélèvement à la source est revenue sur le devant de la scène en mai 2015. Focus sur ce serpent de mer de la fiscalité qui fait couler beaucoup d’encre depuis quelques mois, réunissant à la fois son lot de partisans et d’opposants…
Le prélèvement (ou retenue) à la source est un mode de recouvrement de l’impôt, consistant à faire prélever son montant par un tiers payeur, en l’occurrence l’employeur, au moment du versement au contribuable des revenus sur lesquels porte l’impôt, autrement dit en temps réel. Actuellement, les contribuables sont imposés sur les revenus perçus au cours de l’année précédente. Ce nouveau système permettra donc de supprimer le décalage d’un an entre la perception des revenus et leur imposition et ainsi les difficultés de trésorerie engendrées par des changements de situation.
Pourquoi une telle réforme ?
Cette réforme souhaitée par le gouvernement entre dans le cadre du choc de simplification initié en mars 2013. L’objectif de l’Etat ? Limiter la fraude et alléger le coût de la collecte de l’impôt sur le revenu. Mais cette volonté de changement ne date pas d’hier. Le prélèvement à la source est une réforme qui a été envisagée à de nombreuses reprises en France, mais sur laquelle les gouvernements successifs ont tous reculé. Ainsi dès 1973, le président Valéry Giscard d’Estaing tentait d’inscrire cette proposition dans son projet de loi de finances pour 1974, sans succès.
La France à la traîne
Si la retenue à la source est déjà utilisée en France pour les cotisations sociales recouvrées par l’employeur et pour l’impôt sur les plus-values immobilières recouvré par les notaires depuis 2004, elle demeure l’un des rares pays industrialisés dans le monde à ne pas l’appliquer pour l’impôt sur le revenu. Ainsi, au sein des pays développés, seuls la Suisse et Singapour appliquent encore le paiement de l’impôt après déclaration des revenus. En Allemagne, le système est déjà en vigueur depuis 1925 et depuis 1944 en Grande-Bretagne.
Stéphanie Marpinard
2 - Retenue à la source : où en est le gouvernement ?
Alors que le dispositif sera détaillé à l’automne dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, voici un premier aperçu des principales mesures qui devraient voir le jour d’ici le 1er janvier 2018.
Si Michel Sapin avait présenté le 16 mars dernier les premiers arbitrages dédiés à la retenue à la source, le projet, soumis au conseil d’Etat en juin, a depuis subi quelques ajustements, pour rassurer les plus réfractaires.
Quid du calendrier ?
Voté dans le cadre du budget 2017, le texte sera adopté à l’automne 2016. Dès l’été 2017, l’administration fiscale transmettra au salarié un taux de prélèvement. Ce taux sera calculé avec les revenus 2016 déclarés au printemps 2017. Les salariés qui le souhaitent pourront refuser que l’administration fiscale transmette leur taux personnalisé à leur employeur. Dans ce cas, l’employeur appliquera un taux « neutre », calculé sur la base du montant de la rémunération versée par l’employeur. Le taux choisi devra être envoyé à l’employeur au mois d’octobre.
A compter du 1er janvier 2018, l’impôt mensualisé sera ainsi directement déduit du salaire. Le montant du prélèvement sera alors indiqué sur la feuille de paie. En avril 2018, le contribuable effectuera sa déclaration de revenus 2017.
En septembre, le taux de prélèvement s’ajustera automatiquement en fonction de sa situation de 2017. C’est ce taux qui sera utilisé à partir de janvier 2019 et qui sera, ensuite, à nouveau actualisé, chaque année, en septembre.
Le montant du prélèvement variera automatiquement en cours d’année en fonction de l’évolution des revenus. L’administration fiscale restera l’interlocuteur du contribuable et sera destinataire des éventuelles demandes de modulation de taux d’imposition exprimées par les contribuables. « Dans les faits, le premier réflexe d’un salarié sera de se tourner vers le responsable paie et non vers l’administration fiscale comme il le fait déjà actuellement lorsqu’il s’interroge sur ses cotisations retraites », nuance tout de même Jean-Christophe Procot, senior manager en charge du pôle rémunération au sein du cabinet Wavestone. Et d’ajouter : « Les salariés ne comprendraient pas que leur entreprise puisse se décharger d’un tel problème de fiscalité. »
Qui est concerné ?
Cette réforme va concerner plus de 98 % des foyers : les salariés du privé, les fonctionnaires, les bénéficiaires de revenus de remplacement (pensions de retraite, allocation de chômage), les indépendants (commerçants, professions libérales, agriculteurs), sans oublier les propriétaires de revenus fonciers.
Quel sera le rôle de l’employeur ?
L’employeur aura un rôle de collecteur de l’impôt sur le revenu, de la même manière qu’il collecte la TVA pour le compte de l’Etat. Si l’administration fiscale conserve la responsabilité quant au calcul du taux de prélèvement et de la collecte de l’impôt sur le revenu, l’entreprise s’engage, quant à elle, à un devoir de confidentialité. Ainsi, le taux du prélèvement à la source de chaque contribuable sera soumis au secret professionnel. Au sein de l’entreprise, les personnes qui contreviendront intentionnellement à l’obligation de ce secret professionnel pourront être sanctionnées. « Il est essentiel que les entreprises s’assurent dans un premier temps de la confidentialité des données qui vont être reçues, collectées et utilisées dans le cadre de la mise en place des retenues à la source », conseille Bérénice Gandonou, consultante chez Mc2i Groupe.
Pourquoi un taux neutre ?
Les grandes lignes du projet présenté en mars dernier par le ministre avaient suscité de nombreuses réserves du côté des experts du monde de l’entreprise. Ainsi, pour Jean-Christophe Procot, la première version posait des difficultés en termes de protection de la vie privée : « En communicant le taux d’imposition des salariés aux employeurs, l’administration fiscale délivre une information confidentielle puisque ces derniers peuvent avoir une idée précise des revenus globaux de leurs salariés et de leur famille. »
Afin de calmer les esprits et de répondre aux craintes mises en avant par le Conseil d’Etat, une nouvelle mouture a été proposée incluant cette fois-ci un taux neutre. Ainsi, un contribuable qui ne souhaiterait pas que son employeur soit au courant de sa situation patrimoniale - en cas par exemple de revenus patrimoniaux élevés - pourra demander qu’un « taux par défaut » lui soit appliqué. Ce dernier devra ensuite régler directement auprès de la DGFiP la différence. Ce taux neutre sera également appliqué si l’administration fiscale n’est pas en mesure de communiquer un taux au collecteur, en cas de début d’activité par exemple d’un nouvel entrant dans l’entreprise ou pour les primo contribuables qui n’ont pas encore effectué de déclaration d’impôts.
Stéphanie Marpinard
3 - Éviter que cette réforme ne crée une surcharge de travail pour les RH (Karine Zerah, Cegedim SRH)
La démarche de simplification du bulletin de paie à peine entamée, les entreprises doivent déjà se tourner vers le prélèvement à la source. Véritable partenaire dans la gestion de la paie et des ressources humaines, Cegedim SRH a heureusement à cœur d’accompagner ses clients. Karine Zerah, Responsable du service juridique au sein de Cegedim SRH, fait le point sur les conséquences de cette réforme.
Quel va être le principal impact de cette réforme sur la fonction RH ?
Cette réforme crée, d’abord une série d’impacts opérationnels pour les services RH : échanges de données et reversement mensuel du prélèvement auprès de la DGFiP*, nouvelles procédures de suivi et de contrôle pour garantir la confidentialité des données, impacts sur les mécanismes de paie (gestion des acomptes, des trop-perçus, quid de la liquidation des CET en 2017…). Pour être prêts au 1er janvier 2018, ces derniers doivent se mobiliser, dès la fin du premier trimestre 2017, pour poser les jalons des évolutions techniques et organisationnelles. Contrairement aux autres réformes qui ont vu le jour ces dernières années, celle-ci va particulièrement intéresser les salariés, puisqu’il y aura un impact direct sur le net à payer. Les services RH vont donc devoir rapidement mettre en place une communication efficace afin d’informer les salariés, les rassurer sur la confidentialité du prélèvement à la source, mais aussi leur rappeler que l’entreprise n’est qu’un simple collecteur et que l’administration fiscale demeure leur interlocuteur principal.
Quels sont les points de vigilance à prendre en compte pour les entreprises ?
Il faut avant tout éviter que cette réforme ne crée une surcharge d’activité pérenne pour les services RH. Il faut également s’assurer que cette nouvelle obligation de l’employeur n’impacte pas la relation de travail. Il est donc essentiel de bien préparer le changement, de s’assurer de la formation des équipes afin que les acteurs de la fonction RH et paie soient en mesure de répondre aux interrogations des salariés.
Que propose Cegedim SRH pour accompagner ses clients dans le cadre de la mise en place de la retenue à la source ?
Nous accompagnons nos clients depuis plusieurs mois à travers la diffusion d’informations juridiques que nous proposons à chaque point d’étape du projet. En tant que membre de la SDDS (association pour la simplification et la dématérialisation des données sociétés), Cegedim SRH est associé au projet par la DGFiP* et suit au plus près les textes en cours de préparation.
Enfin, à partir de 2017, nous allons franchir une nouvelle étape et proposer un véritable dispositif d’accompagnement à nos clients afin de les aider à communiquer auprès de leurs salariés à travers un panel de supports de communication. Celui-ci sera destiné aux services RH afin de leur permettre d’anticiper, de gérer les situations particulières en paie et de répondre aux questions des collaborateurs, mais également aux salariés pour les aider à plus facilement appréhender leur nouveau bulletin de paie. Notre objectif est d’anticiper les demandes des salariés afin que les services paie et RH réussissent la transition.
DGFiP* : Direction générale des Finances publiques
Stéphanie Marpinard
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4 - Comment préparer votre paie à la retenue à la source ?
Si le projet de réforme semble recueillir une large approbation auprès des contribuables et donc des salariés, ce dernier suscite encore de nombreuses inquiétudes au sein des services RH et paie. Focus sur ce qui les attend.
« Il faut que les entreprises entament dès aujourd’hui le processus de conduite du changement auprès des fonctions RH car ce seront ces fonctions qui seront les plus exposées dans le cadre de cette refonte », annonce en préambule Bérénice Gandonou, consultante chez Mc2i Groupe. Avec un dispositif détaillé seulement cet automne et une date butoir fixée au 1er janvier 2018, le temps est désormais compté pour les entreprises. « Il reste peu de mois utiles aux services impliqués pour être prêt le jour J », prévient ainsi Jean-Christophe Procot, senior manager en charge du pôle rémunération au sein du cabinet Wavestone.
La DSN, sinon rien
« Après s’être assurées de la sécurisation de leur système de paie, les entreprises doivent finaliser le déploiement de la DSN », souligne Bérénice Gandonou.
D’un point de vue pratique, les entreprises verront en effet leur tâche simplifiée grâce au déploiement de la Déclaration Sociale Nominative (DSN) qui aura été généralisée à l’ensemble des entreprises privées d’ici le 1er juillet 2017. C’est l’administration fiscale qui calculera le taux de prélèvement et qui restera responsable de la collecte de l’impôt sur le revenu. Les services RH n’auront pas de déclaration supplémentaire à effectuer puisqu’ils transmettent d’ores et déjà les données nécessaires au calcul de l’impôt sur le revenu de leurs salariés à la DGFiP. Ils recevront ainsi par le même système informatique que celui par lequel ils transmettent la Déclaration Sociale Nominative, le taux de prélèvement à appliquer sur le salaire de leurs collaborateurs. Le logiciel de paie intégrera ensuite automatiquement le fichier des taux de prélèvement transmis par la DGFiP via le « flux retour » de la DSN. L’impôt versé apparaîtra sur la fiche de paie comme c’est le cas aujourd’hui pour les cotisations sociales. « Les entreprises doivent se tenir informées et rester vigilantes sur les choix qui seront retenus par l’administration fiscale au travers de la DGFiP et le GIP-MDS », conseille Bérénice Gandonou.
Quelles conséquences pour la trésorerie ?
Selon le CPO (Conseil des prélèvements obligatoires), le coût induit par cette réforme pour les employeurs pourrait représenter entre 1,3 % et 3,5 % de la valeur des impôts collectés. « Outre les coûts qui pourraient être répercutés par les éditeurs de logiciels de paie, les entreprises pourront faire face à des dépenses supplémentaires liées au développement informatique ou à la vérification du bon déroulement des procédés », confirme Jean-Christophe Procot. Le gouvernement préfère, quant à lui, mettre en avant les avantages pour l’entreprise. Ainsi, comme cette dernière reversera l’impôt à l’administration fiscale plusieurs jours après le versement du salaire, elle bénéficiera d’un effet positif sur sa trésorerie, de 8 jours, 15 jours ou 3 mois selon la taille de l’entreprise. Quant aux soldes à payer ou remboursements de trop-perçus, ils seront gérés directement entre la DGFiP et le salarié, à la suite de la déclaration de revenus que ce dernier effectuera une fois par an, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.
Que demander à l’éditeur de paie ?
« Les entreprises n’ayant pas une paie externalisée doivent se rapprocher de leur éditeur afin de vérifier que ce dernier a bien effectué les adaptations dans la DSN et qu’elle est capable de récupérer les taux d’imposition auprès de l’administration fiscale, mais aussi que toutes les rubriques de paie soient bien en place et fonctionnent », conseille Bérénice Gandonou consultante chez Mc2i Groupe.
Stéphanie Marpinard
5 - « Cette réforme ne sera pas neutre pour la gestion des RH et la politique salariale de l' ;entreprise », Gaëlle Menu-Lejeune, Fidal
Gaëlle Menu-Lejeune, avocate spécialisée en droit fiscal au sein du cabinet Fidal, nous apporte son éclairage et ses conseils pour gérer au mieux la retenue à la source.
Quels sont les enjeux de cette réforme pour les entreprises ?
Ils sont assez divers. Pour la mise en œuvre, il y aura bien entendu des impacts technologiques dans les systèmes d’informations afin que les entreprises soient à même de recevoir et de transmettre les éléments nécessaires à l’administration fiscale. Bien sûr les conséquences ne seront pas les mêmes pour une petite et pour une grande entreprise qui a, pour sa part, déjà l’habitude de mettre dans les tuyaux de l’administration un certain nombre d’informations. Les autres enjeux concerneront le niveau de connaissances des salariés. Même si l’Etat annonce qu’il va communiquer et expliquer, l’entreprise va en effet devoir de son côté faire un travail pédagogique afin d’expliquer rapidement à ses salariés comment ce prélèvement à la source va fonctionner. A la moindre question, le salarié risque en effet de se retourner vers son DAF ou son DRH plutôt que vers son centre des impôts.
Aura-t-elle des conséquences dans la relation entre l’employeur et l’employé ?
C’est probable. Avec le prélèvement à la source, l’entreprise va en quelque sorte interférer dans la relation confidentielle qui existe entre l’Etat, les impôts et le contribuable. Si un salarié ne demande pas à se voir appliquer un taux neutre, l’entreprise pourra facilement faire un lien entre le taux de prélèvement appliqué à son salarié et le niveau de revenus globaux que perçoit le foyer de son salarié. Les conditions de dialogue risquent donc d’évoluer au moment des négociations salariales et d’évolution de carrière.
Il risque également d’y avoir un impact psychologique sur les salariés de l’entreprise. Jusqu’à présent, le salaire versé chaque mois reflétait en effet la valeur du travail accompli. Avec un impôt prélevé à la source, la somme créditée sur le compte bancaire sera sérieusement amputée… Il va donc falloir quelques mois aux collaborateurs pour s’habituer à ce bouleversement. Cette réforme ne sera certainement pas neutre pour l’entreprise au niveau de sa gestion des RH et de sa politique salariale.
Quels conseils pourriez-vous donner à une entreprise pour gérer au mieux cette retenue à la source ?
Les entreprises vont devoir faire preuve d’une grande pédagogie pour rassurer les salariés en ce qui concerne la protection et le respect de leurs données personnelles. Je ne suis pas certaine que les informations délivrées par le gouvernement aux contribuables seront suffisantes, non seulement à apaiser leurs craintes, mais surtout à comprendre la nouvelle mécanique du paiement de l’impôt. Les questions sur l’imposition ou l’exonération des revenus de 2017 sont également essentielles, pour tous les salariés quel que soit leur niveau de rémunération. Il est donc indispensable que les entreprises prennent le temps ou fassent appel à des tiers afin d’organiser des séances d’informations dédiées au prélèvement à la source. Toute cette fin d’année va être consacrée à des discussions parlementaires afin d’inclure le prélèvement à la source dans le projet de loi de finances pour 2017. Il faut que les services paie et RH suivent de très près l’actualité juridique afin de maîtriser rapidement le sujet.
Quels vont être les principaux écueils rencontrés par le service paie ?
Cette réforme représente une nouvelle contrainte à mettre en place au sein de son organisation. Alors qu’il existe déjà plusieurs échéances déclaratives et de paiement à gérer au sein des services paie, le prélèvement à la source vient en ajouter une nouvelle. En outre, le service paie est déjà confronté à l’obligation de simplification du bulletin de paie qui doit également entrer en vigueur en 2018. Certains mois et calendriers risquent donc d’être très cadencés et difficiles à gérer.
Stéphanie Marpinard