Paie

Migration et externalisation de la paie : l’état du marché en France en 2025

Cet article est référencé dans notre dossier :
Dossier spécial : migration de logiciel de paie, la délicate transition en RH


La gestion de la paie est cruciale en entreprise. Focus sur la tendance à l’externalisation, en vue d’une migration de logiciel de paie et/ou de prestataire : segment de marchés, acteurs et innovation (IA).

Dossier spécial migration de la paie : état du marché en 2025 - © D.R.
Dossier spécial migration de la paie : état du marché en 2025 - © D.R.

Sur fond de digitalisation de la fonction RH et de vague des services pros en SaaS, la gestion de la paie en interne ou en externe demeure un véritable métier. Il n’est donc pas étonnant de constater une dynamique permanente sur ce marché des services professionnels incontournables pour le bon fonctionnement d’une entreprise.

Gérer la paie d’une organisation représente est l’une des démarches les plus sensibles. Car le processus de production fiable de la paie et la garantie de sa distribution constituent deux piliers de la confiance établie entre l’employeur et le salarié.

Baptiste Le Bihan, Linc - © D.R.
Baptiste Le Bihan, Linc - © D.R.

« Il y a beaucoup de stress autour de la paie. Quand un salarié d’une PME a un problème sur son bulletin et requiert une réponse précise auprès du responsable RH en entreprise, celui-ci se tourne rapidement vers le cabinet externe. C’est très dur pour le cabinet d’atteindre le niveau de réactivité escompté par le client final », évoque Baptiste Le Bihan, cofondateur de Linc du nom d’une start-up française qui évolue dans la gestion de la paie pour les PME.

Par conséquent, la prise de décision d’enclencher un processus de migration de la gestion de la donnée n’est pas anodine. Elle relève d’un choix stratégique et nécessite une préparation rigoureuse qui mobilise l’organisation au sens large. Nous le verrons avec le focus dans ce dossier sur les points de vigilance associés à la migration de la paie.

Vincent Guerry, Fortify - © D.R.
Vincent Guerry, Fortify - © D.R.

Les motivations pour enclencher un processus de migration de paie sont diverses, selon Vincent Guerry, CEO chez Fortify (conseil RH & SIRH, transformation Digitale, services RH), qui collabore avec de nombreux fournisseurs de solutions de paie pour des projets de migration de la gestion de la paie pour le compte d’entreprises clientes :

  • obsolescence fonctionnelle de l’outil,
  • décision d’arrêter le support technique d’un outil développé par l’éditeur,
  • renouvellement de la direction de l’entreprise cliente et du DRH qui cherchent davantage de performance sur le volet RH,
  • évolution de la taille de l’entreprise qui nécessite de passer à l’échelle l’outil de gestion de la paie : croissance organique ou externe, fusion d’organisations, internationalisation.

Externalisation de la gestion de la paie : l’essentiel à retenir du marché

Poids du marché

Selon une très récente étude de Xerfi sur le marché de la paie à l’horizon 2027, l’externalisation de la gestion de la paie par les entreprises et les administrations correspond à un marché total de 2,07 milliards d’euros en 2024.

Elle prend en compte la taille du marché évaluée à 27,1 millions de salariés en France en 2024 (secteur public et privé) et un coût du traitement d’un bulletin de paie en externalisation complète de 25,5 euros par mois pour un salarié en 2024.

L’externalisation (ou BPO pour business process outsourcing en anglais) de la gestion de la paie est une tendance qui peut ralentir en fonction du niveau de la croissance économique globale, de l’évolution de l’état du marché de l’emploi salarié face au taux de chômage et de la dynamique de création d’entreprises par an ou, au contraire, du taux de défaillance.

La conjoncture économique - actuellement morose - est donc à prendre en compte.

3 types de configuration

Xerfi expose trois options d’organisation pour gérer la paie :

  • gestion en interne/infogérance : le processus de la gestion de la paie est réalisé en interne par les équipes RH de l’organisation, avec l’appui d’un logiciel et d’un soutien technique (tierce maintenance applicative ou TMA).
  • externalisation partielle/coproduction : elle comprend généralement le recours à l’extérieur à des moyens informatiques et d’une partie des sous-processus selon les besoins du client (édition des bulletins de salaire, production de documents, veille légale et juridique, etc.)
  • externalisation totale : la production du processus de paie est confiée entièrement à un prestataire externe.

Il existe aussi un modèle hybride à travers l’exploitation d’un centre de services partagés (ou CSP), un modèle d’organisation qui permet de centraliser et mutualiser toute ou partie des activités de la fonction RH (paie, formation, recrutement…) et qui assure la production de tâches opérationnelles pour plusieurs sociétés, sites ou entités d’un même groupe. Un segment remarquablement suivi par Le Cercle CSP RH qui a réalisé en mars 2024 un benchmark des pratiques sur l’exploitation d’un centre de services partagés RH et paie par les organisations.

Les profils des acteurs

Il existe 6 différents profils d’acteurs présents sur le marché de la paie qui évoluent entre les jeux de la concurrence et de la collaboration, selon Xerfi :

  • éditeurs de logiciels (Cegid, SAP, Silae…),
  • éditeurs et intégrateurs (ADP, Cegedim, HR Path),
  • génération start-up (PayFit, Linc, Openpaye…),
  • réseaux de cabinets d’experts-comptables (Fiducial, KPMG, Cerfrance…)
  • « big ESN » (Sopra Steria et sa filiale Sopra HR, Accenture et Capgemini)
  • cabinets conseil d’externalisation de la paie (Fortify, TPLPaye, Unit RH)

Les acteurs engagés par segment d’entreprise : le marché prometteur des PME

Vu sous un autre angle, il est possible de classer l’implication des acteurs en fonction des segments d’entreprises visés.

Marché grand compte

Un marché extrêmement stable et mature, dominé par quelques solutions émanant de :

  • Sopra HR,
  • ADP,
  • SAP.

On peut également signaler 2 informations de marché en France en provenance de 2 éditeurs d’origine américaine :

  • Workday a décidé d’arrêter en 2024 la paie en France alors qu’il disposait d’une petite part de marché ;
  • Oracle annonce en 2025 qu’il se lance dans la paie avec HR Path avec un moteur de paie intégré à sa suite Oracle Fusion Cloud HCM avec prise en compte de la DSN.

Marché ETI

Il est dominé par 3 acteurs :

  • Cegedim Business Services,
  • ADP,
  • Cegid.

Marché TPE-PME

Ce segment de marché est en pleine ébullition, évoque Vincent Guerry, CEO chez Fortify.

Cet expert regarde avec attention comment de nouveaux acteurs ou des challengers pourraient émerger face à la position forte prise par Silae qui s’appuie sur les réseaux des cabinets d’experts-comptables pour toucher les entreprises finales mais qui est confronté à une vague de mécontentement de ses clients et partenaires à la suite d’un changement important de tarifs survenus fin 2024.

C’est un marché rempli de nouvelles opportunités et une start-up comme Linc cherche à se faire une place.

« Aujourd’hui, il y a plus de 20 000 cabinets d’experts-comptables en France et presque la moitié d’entre eux font de la paie. C’est forcément un vivier intéressant pour nous », déclare Baptiste Le Bihan, ex-Directeur commercial de PayFit et cofondateur de la start-up Linc.

Initialement engagée sur la gestion de la paie pour les cabinets conseil rattachés à la convention collective Syntec, elle est en train d’évoluer vers un positionnement plus large pour toucher tous les prestataires de services et les cabinets d’expertise - comptable qui servent leurs clients finals, quelle que soit la convention collective et quel que soit le métier exercé.

« Les PME ont digitalisé leurs activités à travers des logiciels comme des ERP à travers lesquels elles gèrent la vie des salariés. Elles intègrent des événements qui auront un impact sur la paie (entrée et sortie des salariés, primes versées, gestion des absences, etc.). Selon les retours d’expérience d’externalisation de la paie qui nous parviennent, les PME rencontrent 3 problématiques :

  • leurs prestataires de gestion de paie ne sont pas correctement connectés à leurs logiciels métiers comme les ERP ;
  • les PME externalisent leur paie parce qu’elles n’ont pas l’expertise et la compétence en interne ;
  • l’accès aux données qui proviennent de la paie externalisée est moins accessible et limite les possibilités d’optimiser la masse salariale et le pilotage de l’entreprise. Nous croyons que notre logiciel peut permettre aux cabinets d’être plus efficaces dans leur métier afin de mieux servir leurs clients finals », indique Baptiste Le Bihan au nom de Linc.

La fiabilité des données reprises, essentielle en cas de migration de paie

« • Une grande partie des erreurs sur les bulletins de paie proviennent de la mauvaise configuration des dossiers de paie à la base. Leur bonne tenue devient essentielle à l’étape de la migration. Il faut savoir le faire en temps et en heure avec les bonnes étapes de contrôle.
• Pour effectuer des paies correctes sur un nouveau logiciel ou avec un nouveau prestataire, il faudra reprendre des données historiques (bulletins de paie, DSN) mais aussi disposer de l’accès aux contrats de mutuelle et de prévoyance. C’est incontournable pour assurer la continuité de la gestion de la vie des salariés. Par exemple, en cas de négociation pour une rupture conventionnelle pour un employé, le calcul des indemnités se basera sur l’historique des salaires et donc de données issues de l’ancien système.
• Chez Linc, nous avons beaucoup investi sur ce volet dès le départ. Parce que c’était une garantie pour faire des paies fiables pour nos clients », indique Baptiste Le Bihan.

Externalisation de la paie : la place de l’IA

Les cas d’usage de l’IA dans les SIRH portent surtout sur le recrutement et la formation, mais la paie constitue également un des domaines d’application, évoque Xerfi dans son étude.

Ainsi, l’IA générative peut être utilisée dans la paie pour interagir avec les salariés en fournissant un support de premier niveau pour expliquer le bulletin de paie (termes utilisés, règles appliquées, calculs, etc.).

« Sur le plan de la communication, l’IA est très présente dans le monde de la paie et des SIRH. Mais en réalité aujourd’hui l’IA dans la paie n’est pas encore un ‘game changer’, même si les usages progressent », indique Vincent Guerry.

Du point de vue du dirigeant de Fortify, l’exploitation de l’IA se développe pour :

  • l’assistance à la saisie ou à la vérification (reconnaissance de documents, vérification de bulletins, alertes sur écarts de cotisation),
  • l’automatisation des réponses RH (chatbots pour demandes simples liées à la paie),
  • la détection d’anomalies ou risques de non-conformité dans les bulletins via le machine learning.

« Le recours à l’IA reste limité sur le cœur de la génération de la paie elle-même ou la prise en compte des décisions réglementaires. Le métier repose sur des règles légales très précises avec peu d’approximations possibles. L’IA est prometteuse mais elle n’est pas encore révolutionnaire dans la gestion opérationnelle de la paie. Elle apporte de la valeur sur l’analyse et le contrôle, plus que sur la production brute », précise Vincent Guerry.

  • « C’est vrai que tout s’accélère avec l’IA en l’état actuel mais il n’existe pas de solution magique qui permettrait de faire des paies en trois clics avec de l’IA. La paie reste quelque chose de très sensible. Nous faisons attention à la manière d’utiliser ces nouvelles technologies à bon escient.
  • En l’état actuel, la grosse base de notre développement n’est pas liée à l’IA. Elle consiste à développer un logiciel avec les bonnes règles de calculs et la bonne intégration des conventions collectives.
  • À terme, l’IA pourra aider les gestionnaires de paie à trouver des informations dans les textes de loi et à expliciter les calculs de paie. Nous travaillons déjà avec des modèles sur des cas d’usages métiers, en nous appuyant sur notre expertise », explique Baptiste Le Bihan.