Formation

Mathieu Nebra, OpenClassrooms : « Mesurer l’impact des formations sur nos étudiants, c’est important »

Par Philippe Guerrier | Le | Organisme de formation

Série d’interviews « 10 ans de digital learning » (volet 2/4) : Mathieu Nebra, cofondateur et Education Evangelist d’OpenClassrooms, retrace le chemin parcouru par la plateforme d’apprentissage des métiers du numérique depuis sa création en 2013 et fournit des perspectives de développement.

Interview spécial 10 ans d’OpenClassrooms avec son cofondateur Mathieu Nebra - © D.R.
Interview spécial 10 ans d’OpenClassrooms avec son cofondateur Mathieu Nebra - © D.R.

En 2023, OpenClassrooms a célébré son 10ème anniversaire.

Entre bilan d’étape et perspectives, Mathieu Nebra, cofondateur et Education Evangelist d’OpenClassrooms, revient sur le développement de la plateforme de formation aux métiers du numérique.

En 10 ans, comment percevez-vous l’évolution de l’apprentissage des compétences numériques ?

Nous avons parcouru du chemin avec un marché qui a mûri. Au début d’OpenClassrooms, nous n’avions pas de formations certifiantes accessibles 100 % en ligne. Nous n’avions pas la possibilité de faire de l’alternance en ligne et encore moins de proposer de la flexibilité sur une année pour s’adapter au rythme de vie de chaque individu.

De votre point de vue, êtes-vous désormais intégrés dans le paysage traditionnel de la formation professionnelle ?

Cela dépend quel versant on regarde. Nous avons beaucoup progressé sur la formation initiale et la reconversion mais nous avons encore du chemin à faire sur la montée en compétences.

Nous exploitons 12 titres RNCP en propre ou parfois en partenariat avec des écoles lorsque l’on a besoin d’expertises complémentaires. Par exemple avec l’Université de Technologies de Troyes (UTT) pour le grade de mastère spécialisé Expert en Cybersécurité.

Au sein d’OpenClassrooms, une équipe dédiée travaille pour acquérir de nouveaux titres RNCP (2 ou 3 par an) ou procéder à leur renouvellement.

Comment vous distinguez-vous avec votre offre de formation ?

Nous restons dans l’obligation de moyen mais on se rapproche de l’obligation de résultat.

Nous proposons en tout 57 parcours métiers, tous 100 % en ligne. Nous proposons des profils d’étudiants que l’on ne trouve pas dans les grandes écoles, ce qui contribue fortement au développement de la diversité en entreprise. Par exemple les femmes dans les métiers technologiques.

Il est important de capter et de mesurer l’impact de nos formations sur nos étudiants en termes de niveau de vie et d’écart de salaire. C’est un ratio entre la quantité d’étudiants et la qualité de la formation.

  • Entre 2025 et 2030, l’objectif fixé est d’engendrer 500 000 perspectives de carrières (« career outcomes » en anglais), ce qui correspond au nombre de personnes qui changent de carrière grâce à nous.
  • Ainsi, en 2023, nous avons atteint la barre des 50 000 career outcomes.

Il ne faut toutefois pas confondre cet indicateur global avec le taux d’insertion dans l’emploi qui est à regarder sous le prisme de l’adéquation de la formation avec le marché de l’emploi. Cette dernière métrique est particulièrement suivie par France compétences pour le renouvellement des titres ou non, et nous oblige et nous motive à proposer des parcours de formation de qualité.

France compétences mène de plus en plus et de mieux en mieux des contrôles aléatoires sur le suivi professionnel des étudiants pour voir si la formation correspond bien au métier exercé en entreprise.

D’autres acteurs vérifient à travers la certification Qualiopi ou nos partenaires donneurs d’ordre (Pôle emploi, Région Ile-de-France) qui mènent leurs propres enquêtes complémentaires avec le même objectif : vérifier que l’on délivre bien de l’emploi. Ces processus représentent un changement systémique dans le secteur. Nous restons dans l’obligation de moyen mais on se rapproche de l’obligation de résultat.

D’ailleurs, les pouvoirs publics commencent à monter des outils de comparaison de qualité des formations. En France, c’est la vocation d’InserJeunes par exemple.

Considérez-vous qu’il existe une certaine saturation de l’offre de formation aux métiers du numérique en France ?

C’est vrai que nous avons assisté à une explosion de l’offre susceptible de répondre aux besoins des entreprises. Mais nous faisons face à un paradoxe : les entreprises assurent ne pas trouver les compétences numériques nécessaires parce que, par réflexe, elles ne regardent pas les candidats en-dessous du niveau bac+5, en privilégiant les élèves avec un Master. Voilà pourquoi les ESN se plaignent de ne pas trouver de candidats.

Le diplôme n’est pas la finalité. Le bout de l’histoire, c’est le recrutement par les compétences.

Il faut identifier les éléments de compétences précis recherchés à détecter lors de l’entretien de recrutement, ce qui permet d’élargir le vivier de candidats et de favoriser la diversité.

Par défaut, les entreprises ne se ruent pas sur les juniors mais sur les profils confirmés parce qu’elles n’ont pas forcément le temps de former et recherchent en priorité des personnes opérationnelles immédiatement.

À leur décharge, il faut reconnaître que l’alternance constitue une prise de risque avec un jeune à former en interne mais qui peut décider de partir une fois son parcours d’apprentissage terminé.

Entre l’alternance, le CPF, et les activités BtoB, comment évoluent les sources de financement des formations d’OpenClassrooms ?

  • L’alternance est en croissance. Nous scolarisons entre 2 500 et 3 000 alternants en France, en particulier en partenariat avec de nombreuses PME réparties partout sur le territoire français. La modalité 100 % en ligne est très adaptée aux besoins de ces entreprises, qui n’ont pas toujours d’école à proximité.
  • La part du CPF grossit avec un volume croissant d’individus qui financent leur évolution professionnelle par ce biais malgré un reste à charge qui complique parfois la donne. Pour cette part résiduelle, il arrive que le montant atteigne plus d’un millier d’euros à régler d’un coup par l’apprenant. Il est possible de prendre en charge ce reliquat par un autre organisme financeur mais cela prend du temps de monter les dossiers complémentaires ;
  • Depuis 2021, le financement des formations par Pôle emploi et les régions dans le cadre du PIC est en hausse. Nous observons malheureusement dans certains cas une méconnaissance des dispositifs comme Transition Pro pour la reconversion professionnelle, les mécanismes de financement par les Opco et par l’Agefiph pour les personnes en situation de handicap. L’argent est là mais les règles sont complexes. Chez OpenClassrooms, nous aidons les candidats à trouver les bons leviers de financement de formation.
  • Sur la partie BtoB, nous opérons des écoles pour le compte d’entreprises. Par exemple le groupe Orange sur la partie data. Chaque année, une promotion d’alternants en data management intègre Orange tout en suivant une formation 100 % en ligne avec OpenClassrooms. Nous sommes le partenaire du CFA interne d’Orange, qui combine excellence pédagogique et insertion immédiate dans l’emploi. Comme société à mission, ce type de partenariat est emblématique de ce que nous souhaitons faire.

Que pensez-vous de la prochaine configuration de France Travail qui va succéder à Pôle emploi à partir du 01/01/2024 ?

C’est un bon signal, comme toutes les initiatives qui permettent de simplifier les règles de financement et les pratiques de formation.

Avec France Travail, nous apprécions le fait que la formation 100 % en ligne est désormais encadrée par la loi et régie par un organisme travaillant en parfaite complémentarité avec les régions.

Compte tenu des besoins de formation partout sur le territoire français, en particulier dans les zones rurales ou alors dans les QPV, le fait de mettre à disposition des modalités de formation différentes en fonction des besoins des individus va vraiment dans la bonne direction.

Chez OpenClassrooms, le S1 2023 a été marqué par un PDV concernant 25 % de votre personnel. À quel niveau d’effectif êtes-vous revenus ?

Nous avons désormais un objectif de rentabilité plutôt que d’hyper-croissance. Avec la réalisation de ce PDV, nous sommes passés d’un effectif d’un peu moins de 500 personnes à 320 personnes à fin 2023.

Je tiens au passage à saluer toutes celles et ceux qui ont quitté OpenClassrooms à ce moment. L’immense majorité s’est formée ou a retrouvé un emploi très rapidement.

Le nombre d’employés sera stable en 2024. Notre objectif est de nous tenir à flot et d’atteindre la rentabilité à court terme.

Comment évoluent les activités d’OpenClassrooms à l’international ?

Nous avons un important focus aux Etats-Unis : mon associé Pierre Dubuc, au poste de CEO, vit à New York depuis 2 ans pour développer les opérations sur place en misant sur l’alternance tech (« tech apprenticeship »).

  • Jusqu’ici, l’alternance aux États-Unis concernait des métiers manuels avec des populations de cols bleus mais l’approche demeure limitée. Avec l’administration Biden, les Américains commencent à regarder avec intérêt ce qui est fait du côté de l’Europe sur le sujet.
  • Avec l’alternance tech, nous avons l’impression de participer à ce qui pourrait être une grosse histoire aux États-Unis. Mais il faut travailler sur place pour discuter, convaincre et faire évoluer le cadre législatif.

Nous disposons d’une équipe locale de 15 à 20 personnes pour couvrir les grandes villes. Les États-Unis représentent déjà notre premier marché à l’international.

Au-delà de votre développement aux États-Unis et de l’objectif de rentabilité, quelles autres priorités avez-vous déterminé pour 2024 ?

Je compare l’impact de l’IA générative à celui de Microsoft Excel en entreprise.

Nous travaillons beaucoup sur l’IA générative. Nous développons des algorithmes pour recommander et personnaliser les cours de formation.

En plus des mentors experts qui accompagnent les étudiants OpenClassrooms, nous élaborons aussi une modalité pédagogique additionnelle fondée sur l’IA : un assistant IA sous ChatGPT d’OpenAI pour accompagner tous les étudiants. Nous l’avions déjà installé à petite échelle.

Nous devons également mettre à jour nos contenus de formation : chaque année, 30 à 40 % de notre catalogue est mis à jour en continu. Mais, avec l’arrivée de ChatGPT, 20 à 30 % des compétences à acquérir par nos apprenants sont à réévaluer.

Je compare l’impact de l’IA générative à celui de Microsoft Excel en entreprise. D’ici fin 2023, 80 % de nos étudiants auront été confrontés à l’IA générative mais il faut aller plus loin.

Comment voyez-vous OpenClassrooms dans 10 ans dans la perspective de célébration de son 20ème anniversaire ?

La croissance sera tirée par l’international par les marchés anglo-saxons, hispanophones voire africains.

Nous serons un leader des formations en alternance et plus globalement dans l’acquisition de nouvelles compétences.

L’upskilling en entreprise constitue un vrai défi à prendre en main, pour lequel Il faudra trouver des jonctions entre les formations courtes et les formations longues. Le fait de juste regarder le prisme des obligations qui incombent aux entreprises en la matière ne suffira pas au regard de l’évolution technologique rapide.

Adaptation d’une interview diffusée sur News Tank RH le 22/12/2023. Pour accéder à l’offre Découverte