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France Digitale : « La sortie de crise passe par la transformation de l’entreprise »

Par Philippe Guerrier | Le | Digital learning

Télétravail, création d’emplois, chômage partiel…L’association professionnelle, qui fédère les start-ups et les investisseurs du numérique, émet 15 propositions pour transformer l’entreprise, avec une forte connotation RH. Entretien avec son directeur général Nicolas Brien.

Nicolas Brien, Directeur Général de France Digitale : les mesures RH du programme « Alternatives » - © Margot L’Hermite
Nicolas Brien, Directeur Général de France Digitale : les mesures RH du programme « Alternatives » - © Margot L’Hermite

Un véritable « plan de redirection » pour emmener la France à explorer des « alternatives ». C’est ainsi que l’association France Digitale, qui fait la jonction entre les start-ups et les acteurs du capital-risque, présente sa série de propositions de relance économique sous le prisme de la transformation de l’entreprise.
Son directeur général Nicolas Brien aborde les questions sous un angle de la gestion des ressources humaines.

Comment France Digitale perçoit l’essor du télétravail ?

Le bond du télétravail que nous avons connu lors du confinement est loin d’être anecdotique. Nous sommes passés de 800 000 travailleurs occasionnels à près de 8 millions en quelques semaines. Nous allons probablement rester à un niveau important pendant une période assez longue. C’est une révolution qui nécessite quelques conditions pour qu’elle soit bénéfique à tous.

France Digitale demande aux entreprises d’engager une réelle transformation numérique qui intègre vraiment le télétravail, notamment à travers la signature d’accords d’entreprises.

En l’état actuel, nous nous heurtons à un mur. Nous insistons sur la dimension d’accord d’entreprise pour éviter une dimension de télétravail subi. Avec cette transformation digitale, nous pourrions recommander aux entreprises de prendre en frais professionnel tout ou partie de l’équipement numérique nécessaire pour le travail.
Plus globalement, nous avançons un plan de 10 milliards d’euros pour que les entreprises avancent sur des chantiers de cybersécurité ou de services dans le cloud en s’appuyant sur un crédit d’impôt par exemple.

Comment comptez-vous favoriser la création d’emplois durables et non délocalisables ?

Nous nous adressons aux pouvoirs publics pour disposer d’un plan d’investissement dans ce sens, en association avec les réflexions sur la souveraineté économique et la relocalisation des activités industrielles. Car il y aura des choix stratégiques à faire au nom de la Nation, notamment en termes de qualité de l’emploi. C’est un pari sur l’avenir.

Avant la crise, les start-ups étaient devenues les premiers créateurs nets de CDI en France. Elles ont continué de recruter activement pendant le confinement. C’était le cas de 300 start-ups du réseau France Digitale.

Même si nous sommes conscients qu’une proportion a choisi d’adopter le chômage partiel. Pour le reprise de l’activité et de l’emploi, les start-ups détiennent une partie de la solution. Selon la dernière étude de l’Apec, l’informatique est devenue le premier débouché pour les jeunes diplômés.

Avec la crise, comment renforcer les compétences dans le numérique et éviter la casse sociale dans les start-up ?

Le concept de « start-up nation » ne veut pas dire grand-chose. Il n’existe pas de secteur numérique à proprement parler.

Les entreprises doivent continuer à bénéficier de la protection importante du chômage partiel plus longtemps et préparer l’avenir en poussant les métiers du numérique et les formations aux compétences digitales. Pourquoi pas basculer le temps de chômage partiel en temps de congés pour une formation numérique…Et que le Compte Personnel de Formation (CPF) et les opérateurs de compétences (OPCO) prennent le relais…
Par ailleurs, de manière iconoclaste, je dirais que le concept de « start-up nation » ne veut pas dire grand-chose. Il n’existe pas de secteur numérique à proprement parler. Il faudrait plutôt établir pour chaque start-up une grille d’analyses par secteurs et par produits.
La situation est très hétérogène en fonction du domaine d’activité et de l’angle grand public (BtoC) ou professionnel (BtoB). Sur les 1800 start-ups du réseau France Digitale, certaines se portent très bien dans l’e-santé, les paiements digitaux, le gaming et l’e-sport. D’autres souffrent dans le voyage, la restauration ou l’événementiel.

L’écosystème start-up n’est pas un domaine de l’argent facile mais il est solide.

Les investissements menés par les sociétés de capital-risque sont réalisés sur une vision de 7 ans en moyenne. En l’état actuel, on évalue à 11 milliards d’euros les fonds mobilisables par les VC (ce que l’on appelle dans notre jargon « la poudre sèche »). Sur l’année 2019, les start-ups de l’Hexagone ont levé un montant record de 5 milliards d’euros.

Comment favoriser la jonction entre les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché de l’emploi et les entreprises ?

L’horizon professionnel des jeunes diplômés ne doit pas se résumer à des acteurs comme Google ou Orange qui organisent des sessions de rencontres avec les étudiants dans les universités et les écoles d’enseignement supérieur. Ils doivent prendre connaissance des offres disponibles dans toutes les PME technologiques, qui n’ont pas forcément les moyens de se faire connaître auprès de cette population.

D’ici 2025, nous nous engageons à ce que tout jeune diplômé dans les métiers technologiques rencontrent au moins une fois des recruteurs venus d’horizons variés.

Cette mesure n’a pas besoin de loi ou plan de financement. Il suffit de déterminer des partenariats malins entre les établissements d’enseignement supérieur et les PME technologiques.

Percevez-vous une tendance de fond quand des sociétés technologiques influentes comme Facebook ou Twitter prônent le télétravail à 100 % en délaissant les locaux physiques ?

Il faut se montrer prudent en l’état actuel avec les effets d’annonces. Néanmoins, nous savons que des start-ups comme Zapier (automatisation des tâches) ou GitLab (gestion de dépôt des codes) opèrent sans bureau alors qu’elles disposent de milliers de collaborateurs.
J’y mets quelques bémols. Ce plan peut mieux marcher avec les entreprises technologiques et des équipes de développeurs et d’ingénieurs habitués au travail à distance. C’est moins évident avec des profils de commerciaux ou de marketing. Le choix de la localisation du siège social demeure stratégique voire culturel.

Le télétravail entraîne aussi des responsabilités importantes en termes d’équipement et de team building. Prendre soin de ses collaborateurs, c’est important pour la cohésion et le succès de l’organisation.

Chez France Digitale, après la période de confinement et donc d’isolement, l’équipe a décidé de passer deux jours en dehors de Paris pour ré-apprendre à travailler collectivement.

L’ensemble des propositions de France Digitale est accessible par ce lien (via Tilkee). 

Des mesures RH fortes intégrées dans le programme Alternatives

France Digitale émet 15 propositions destinées à la transformation digitale en entreprise et le soutien aux start-up regroupées en quatre axes stratégiques :
• « réarmement technologique » autour d’un plan d’investissement d’avenir de 10 milliards d’euros sur deux ans ;
• déblocage de 10 milliards d’investissement privé dans les start-ups, par la recapitalisation de Bpifrance, le renforcement des réseaux nationaux de business angels (investisseurs individuels) et de capitaux-risqueurs (VC) ;
• emplois durables et non-délocalisables incluant un vaste plan « d’alphabétisation numérique » ;
• transition environnementale favorisée par le biais des outils numériques.

Sous un angle RH, France Digitale avance plusieurs idées en améliorant les dispositions d’encadrement existantes :
• étendre le dispositif de chômage partiel et de la prise en charge par l’Etat au-delà du 1er juin, sous la forme d’un « congé formation numérique ».Sous réserve de l’accord du salarié, les conditions d’indemnisation du chômage partiel seraient prolongées en échange d’un recours aux droits accumulés sur le CPF, et quand les droits sont insuffisants, par un complément du Fonds national de l’emploi (FNE), pour toute formation liée aux compétences digitales ;
• prôner une formation annuelle obligatoire sur le numérique (outils, enjeux ou usages) pour tous les agents de la fonction publique avec une simplification des procédures d’homologation des formations certifiantes pour les adapter aux acteurs de la formation en ligne ;
• favoriser les rencontres entre les étudiants des 100 top engineering et business school européennes entrent sur le marché du travail et les recruteurs des top 199 scale-ups de leurs pays avec l’ouverture des subventions publiques pour ce type de programmes ;
• renforcer l’attractivité des start-ups au sens large via les outils d’intéressement au capital comme les Bons de souscription au capital des entreprises (BSPCE) avec des extensions de régime, d’élargissement des dispositifs d’intéressement au capital aux contributeurs non salariés et d’unification des régimes de stock-options (options d’achat sur actions) à travers les pays de l’UE ;
• affiner l’encadrement du régime juridique des travailleurs indépendants utilisant les plateformes, et celui des plateformes.