Fabernovel : quand les GAFA secouent le management et la gestion RH
Par Philippe Guerrier | Le | Workspace
Dans un ouvrage récent, Fabernovel détaille « les super-pouvoirs des GAFA ». L’interview de Cyril Vart, Vice-Président exécutif de la société de conseil pour la transformation digitale des entreprises.
Régulièrement depuis 2006, Fabernovel réalise des études publiques sur les géants du numérique baptisées GAFAnomics.
Au printemps, la société française, fondée et dirigée par Stéphane Distinguin (par ailleurs président de la Grande Ecole du Numérique) et spécialisée dans l’accompagnement des entreprises dans leur transformation digitale, a publié un ouvrage intitulé « Comprendre les super-pouvoirs des GAFA pour jouer à armes égales ».
Il porte sur la capacité des acteurs influents du numérique comme Google, Apple, Facebook et Amazon à réaliser des grandes transformations de l’économie, quitte à bouleverser les règles établies.
Cyril Vart, Vice-Président exécutif chez Fabernovel, aborde le volet du management et la gestion des RH avec des méthodes qui détonnent parfois.
« Les GAFA piratent le management » selon l’étude de Fabernovel. Sous quels angles ?
Nous mettons en avant la dimension de piratage pour souligner le contraste entre les anciens et les nouveaux modèles, en référence aux travaux du Canadien Frédéric Laloux, le grand théoricien des modèles d’organisations.
Il faut distinguer les approches en fonction de ces groupes numériques. Nous pouvons les résumer en plusieurs caractéristiques :
- le nombre de passage de relais et de tracking pour un processus réalisé, synonyme d’inertie, de poids et de friction, est réduit ;
- les points de contention dans la chaîne de production et dans les processus budgétaires sont à éviter ;
- beaucoup de décisions sont prises à partir d’approche analytique. Il faut donc créer de la valeur ajoutée au-dessus des constats chiffrés et développer la créativité. D’où la survalorisation des soft skills dans ces sociétés ;
- « l’empowerment » intégrant des processus de prises de décisions rapides et de souplesse d’exécution. Un volet difficile à appliquer dans des grands groupes qui ont adopté des couches de conformité. Là encore, il faut nuancer au sein des divisions des Gafa. Ainsi, chez Amazon, la capacité d’empowerment des employés des entrepôts est limitée. Nous connaissons bien ce terme dans l’informatique : il faut donner de l’agilité dans les organisations pour gagner en vélocité. C’est bien expliqué dans l’ouvrage « Drive : The Surprising Truth About What Motivates Us » de Daniel H. Pink.
Comment nuancer l’approche de management des GAFA ?
- Facebook dispose du modèle d’organisation le plus en rupture avec Mark Zuckerberg aux commandes qui vient du monde Tech et qui est perçu comme leader inspirant. Le groupe, qui s’appuie sur les profils de codeurs, se distingue par son choix d’autonomie accordée aux petites équipes, d’absence de management intermédiaire, de liberté de décision ayant parfois des implications budgétaires. Le plus important chez Facebook, c’est le software. Les codeurs sont mieux considérés que les vendeurs, qui ne disposent pas de stock-options, sauf les directeurs commerciaux.
- Chez Google, la gestion de son organisation devient standard et ressemble de plus en plus à celle de Microsoft. La culture d’entreprise se veut cool, mais on trouve derrière des chefs, des schémas de décision et une structure de gouvernance bien déterminée.
- Amazon a inspiré nombre d’organisations avec sa règle de « pizza team » : s’il faut plus de deux pizzas pour nourrir les participants d’une réunion autour d’un projet, alors il y en a trop de personnes. Néanmoins, avec son hyper-croissance dans le monde, le groupe de Jeff Bezos se rapproche d’un modèle de grande distribution classique, même si les circuits demeurent plus courts. Il doit aussi gérer une activité logistique imposante, un point commun qu’il partage avec Apple en raison de ses produits hardware et de son réseau de boutique Apple Store ;
- Apple n’a pas vraiment de spécificité en termes d’organisation, mis à part son goût certain pour le secret de ses projets de développement produits.
Quel géant du numérique se montre le plus audacieux avec le process de recrutement ?
Je citerais Google, qui se rapproche plus des méthodes du cabinet conseils McKinsey avec des tests de logiques, du code en fonction du profil de postes et d’analyses.
Le plus important est de déterminer la vitesse d’adaptation en fonction des situations. Cela tourne beaucoup autour de l’autonomie, la prise de décision et la curiosité. Le parcours de recrutement est essentiellement basé sur les soft skills.
Le CV reste nécessaire, mais l’important, c’est d’évaluer le process de réflexion du candidat.
Désormais, le souci pour Google est de conserver des talents. Car, avec une telle concentration de cerveaux parfois payés très cher, il est difficile de se distinguer pour générer un impact au sein du groupe. Et cela peut devenir frustrant pour les talents intéressés.
Comment stimuler la créativité au sein des équipes ?
Chez Facebook, l’autonomie et la liberté d’organisation des squads sont privilégiées. Cette démarche peut aller jusqu’aux choix de sujets à s’atteler ou de projets à développer.
La règle de Google qui permet à chaque employé de consacrer 20 % de leur temps de travail à un projet d’intérêt personnel a bien vécu, mais elle se décline désormais sous diverses formes.
Décréter que l’on innove le vendredi, c’est devenu désuet.
On préfère laisser beaucoup de libertés opérationnelles et de mécaniques de feedback. L’important, c’est de vérifier que les projets s’inscrivent dans la vision globale du groupe.
Dans quelle mesure ces techniques de management inspirent-elles les sociétés françaises ?
Autour de l’agilité, nous étions encore il y a trois ans dans l’incantation et la communication avec l’exploitation de laboratoires digitales. Mais la question de la mise à l’échelle n’était pas vraiment étudiée. Depuis, nous observons une accélération dans la formation ou la sensibilisation aux enjeux du digital impliquant des volumes considérables d’employés.
C’est un mouvement profond et global de « désilotage » de tous les groupes français.
Même de grands éditeurs de solutions numériques comme Microsoft [que l’on intègre souvent dans le club élargi des GAFAM, ndlr] se remettent en question. Ils cherchent à gagner davantage en agilité, notamment en révisant leurs propres pratiques commerciales.
Il faudrait aussi souligner une injustice vis-à-vis de la situation financière : des groupes comme L’Oréal ou LVMH ont les moyens de financer cette transformation digitale. C’est plus compliqué dans la situation actuelle de Renault.
Comment interpréter les tensions d’équipes de sociétés comme Google, Amazon ou Facebook ?
Les salariés de plus en plus attentifs aux enjeux de RSE.
Depuis deux ans, les tensions vont crescendo pour des histoires de modération de contenus ou d’éthique sur certains projets. Mais on peut retrouver des traces depuis 2016 avec Facebook accusé de laxisme vis-à-vis de la propagande russe qui serait susceptible de favoriser l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche.
Il est vrai que la promesse de changer le monde, souvent érigée comme vision éthique par ces géants, se frotte à la réalité. On se souvient tous de l’expression « Don’t be evil » (« Ne soyez pas malveillant ») de Google qui existe depuis 2001 [NDLR : retirée en 2018 du code de conduite de la firme].
Dans ce monde GAFA où l’on observe des décotes de salaires et des surcotes de travail, la pilule n’est pas toujours évidente à faire passer, même si on prend soin d’accompagner les employés dans leur vie personnelle (comme la garde d’enfants) pour qu’ils se concentrent sur le travail.
C’est un débat qui va s’amplifier au sein des entreprises avec des salariés de plus en plus attentifs aux enjeux de responsabilité sociale des entreprises (RSE).
L’ouvrage des « super-pouvoirs des GAFA »
« Comprendre les super-pouvoirs des GAFA pour jouer à armes égales », dans la collection GAFAnomics de Fabernovel et publié aux Editions Eyrolles. Il a été rédigé par :
• François Druel, docteur en sciences pour l’ingénieur et professeur de Polytech Angers ;
• Guillaume Gombert, directeur de projet stratégique chez Fabernovel.
Ce livre de 240 pages décrypte les 7 « super-pouvoirs » des GAFA :
• client gratuit ;
• conception inversée ;
• management pirate ;
• L’entreprise magnétique ;
• l’agrégation de portions de valeur ;
• L’entreprise temps-réel ;
• l’adaptation instantanée ;
• la personnalisation à grande échelle.
Disponible en librairie depuis 28 mai et en version e-book. Prix : 20 euros.