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IA, recrutement et inclusion : un management sous tension

Par Philippe Guerrier | Le | Core rh

Sommet pour l’inclusion économique (28 novembre 2023) : 6 experts (Adecco, Pernod Ricard, Workday, IGS, Accenture, Tomorrow Theory) débattent des implications de l’IA dans les sphères RH et du management.

Sommet de l’inclusion économique : IA, recrutement et management (28 novembre 2023) - © D.R.
Sommet de l’inclusion économique : IA, recrutement et management (28 novembre 2023) - © D.R.

Le Sommet pour l’inclusion économique, organisé le 28 novembre 2023 à Paris par Epoka et la Fondation Mozaïk RH, a permis de faire le point sur « l’égalité de traitement dans l’accès à l’emploi et à l’entrepreneuriat qui demeure sous-exploitée. »

Parmi les thèmes traités lors des tables rondes, l’une portait sur « l’intelligence artificielle, le recrutement et le management inclusif de demain ».

Voici quelques points saillants des 6 intervenants de cette conférence.

Alexandre Viros (Adecco) : « Les tâches de beaucoup de métiers seront remplacées par une IA »

  • Alexandre Viros, The Adecco Group - © Adecco
    Alexandre Viros, The Adecco Group - © Adecco

    « Soyons précis sur les enjeux de l’IA. Il ne s’agit pas juste d’une évolution ou l’amélioration du monde d’hier. Pour certaines tâches, et je ne parle pas d’emploi, nous aurons des gains de productivité démultipliés. Ce phénomène touche davantage les cols-blancs que les cols-bleus qui ont été souvent épargnés par les grands changements technologiques. Les tâches de beaucoup de métiers seront remplacées par une IA. »

  • « Voici l’enjeu auquel il va falloir se mesurer avec l’IA : la performance technologique par rapport au travail humain. Le débat est très différent ce que s’est passé avec le digital et l’installation de la fibre optique. Ce n’est pas une question de remplacement d’emploi par l’IA mais de personnes sachant utiliser une IA vs ceux qui ne savent pas. Parallèlement, la question de la disparition de certains métiers ou certaines fonctions dans les tâches administratives ou de back-up devra être abordée tôt ou tard sous le prisme du remplacement par une IA. »
  • « Il n’y a pas de fatalité : les métiers vont changer, tout comme la répartition de la valeur ajoutée. Prenons un métier de col bleu, celui de cariste. C’est passé d’un métier de force physique à celui de conduite d’engin voire d’auto-conduite d’engin. Dans certains cas, il faudra effectuer des paramètres avec une tablette numérique pour conduire l’engin. Ce sont des responsabilités politiques, de managers et de chefs d’entreprise. Nous l’avons vu avec l’essor de la robotisation qui n’a pas abouti partout à de la destruction d’emploi. Par exemple, en Corée du Sud qui le pays le plus robotisé dans le monde, le taux de chômage reste faible », déclare Alexandre Viros, Président France The Adecco Group.

Eric Benoist (Pernod Ricard) : « Entre attirance et répulsion, la question avec l’IA est de savoir comment accompagner ce changement par les managers »

  • Eric Benoist, Pernod Ricard - © D.R.
    Eric Benoist, Pernod Ricard - © D.R.

    « Il ne faut pas forcément considérer ChatGPT comme un ennemi. Tout dépend de l’usage. Surtout pour une personne comme moi qui occupe une fonction marketing, les capacités créatives ChatGPT sont intéressantes et peuvent représenter une aide significative. Tout dépend de l’usage et des prompts générés. À nous de travailler en bonne intelligence avec l’IA. Si ChatGPT peut développer la créativité par le haut au lieu de la niveler par le bas, pourquoi ne pas s’y intéresser ? »

  • « Sur les sujets de l’innovations, si l’on fournit peu de données et que la demande n’est pas d’un bon niveau sur ChatGPT, le résultat risque d’être banal. C’est pareil pour la gestion des talents. Il faut que l’on apprenne à nourrir un ChatGPT, à poser les bonnes questions et à fournir les bonnes bases de données. Par exemple, celles réalisées en interne sur les études consommateurs en 100 ans d’activité. La puissance de compréhension du consommateur serait bien supérieure à ce que l’on trouve maintenant. »
  • « Un certain nombre de postes vont disparaître, d’autres seront transformés, d’autres seront créés. Cela pourra faire peur à certains collaborateurs qui se sentent démunis. Entre attirance et répulsion, il y a plusieurs questions avec l’IA. À savoir :
    • Comment accompagner ce changement par les managers
    • Comment faire pour que nos cols-blancs et nos cols-bleus se sentent inclus dans cette transformation de l’entreprise
    • Comment faire adhérer l’ensemble des collaborateurs dans le respect de nos valeurs et comment mettre en place le processus de transformation qui va s’amplifier ?
    • Comment mettre en place ce processus de transformation qui va s’accélérer, dépasser la perception des risques et saisir les opportunités ? », déclare Eric Benoist, Global Chief Marketing Officer de Pernod Ricard.

Hubert Cotté (Workday) : « Nous règlerons la dimension éthique et le bon usage de l’IA de manière collective »

  • Hubert Cotté, Workday - © D.R.
    Hubert Cotté, Workday - © D.R.

    « L’une des principales vertus de l’IA, c’est dans sa capacité à traiter un volume de données qu’aucun humain n’est en mesure de réaliser. Un cas d’usage chez Workday concerne une plateforme d’engagement et d’écoute des collaborateurs. Chaque semaine, 5 questions sont posées sur des thèmes précis à tous nos collaborateurs. »

  • « Cette plateforme intègre un bloc ‘diversité et inclusion’ pour évaluer le sentiment des collaborateurs par rapport à la politique du groupe dans ces domaines et mesurer l’efficacité de la perception de cette politique au quotidien. »
  • « Par analyse sémantique des verbatims, nous sommes en mesure de détecter un certain nombre de signaux faibles positifs ou négatifs dans la confiance du collaborateur vis-à-vis du management et dans son adhésion à la politique managériale. C’est devenu un outil de pilotage du comité de direction. »
  • « Il existe des moyens de travailler sur de bons usages de l’IA, tout en prenant en compte la dimension éthique et de régulation. À travers notre débat, nous sentons un côté anxiogène de l’IA qui marque un changement de paradigme. Nous règlerons la dimension éthique et le bon usage de l’IA de manière collective. Derrière l’usage de l’IA vertueux ou non, il y a une décision managériale. C’est la responsabilité des grands donneurs d’ordres », déclare Hubert Cotté, Country Manager France Workday.

Caroline Costa-Savelli (groupe IGS) :« Avec l’IA, il y aura un effort d’accompagnement et de formation très important à réaliser » 

  • Caroline Costa-Savelli, Groupe IGS - © D.R.
    Caroline Costa-Savelli, Groupe IGS - © D.R.

    « En fonction des publics que l’on rencontre, il est parfois difficile de prendre conscience de leurs compétences ou soft skills. Lors des ateliers de partage de pratiques organisés régulièrement par Mozaïk RH, nous avons découvert l’outil JOBREADY, qui permet d’accompagner des personnes ayant du mal à mettre en valeur leurs compétences.

    • L’outil permet de raconter des expériences professionnelles ou personnelles et ensuite d’aider à la traduction des éléments recueillis en pastilles de compétences que l’on peut diffuser avec son profil LinkedIn.
    • C’est un levier qui permet de se détacher du CV. Le recrutement sans le CV permet d’éliminer un certain nombre de biais mais ce n’est pas évident pour les plus petites structures. »
  • « Avec l’IA, il y aura un effort d’accompagnement et de formation très important à réaliser au niveau des individus et des entreprises. »
  • « A travers les personnes qui viennent se former chez nous, et notamment des publics seniors et des individus au-delà de 45 ans qui doivent changer de métiers, nous les accompagnons sur des formations numériques. Mais les niveaux sont très différents. Certains ne savent pas comment allumer un ordinateur. Ce sera compliqué mais il faudra quand même les embarquer dans cette société numérique », déclare Caroline Costa-Savelli, Directrice d’IGS Insertion Inclusion.

Julien Fanon (Accenture) : « L’usage de l’IA comme ChatGPT nécessite des compétences particulières » 

  • Julien Fanon, Accenture - © D.R.
    Julien Fanon, Accenture - © D.R.

    « Chez Accenture, nous réalisons beaucoup d’études sur l’impact de l’IA sur les talents et les métiers, notamment pour le compte du World Economic Forum. Il faut raisonner en termes d’activité et non de métiers. Une bonne portion peut être automatisée et une autre peut être augmentée. Il existe de véritables dimensions stratégiques et éthiques. »

  • « La question de l’augmentation des compétences par l’IA est très intéressante. Si je mets l’IA dans les mains de la bonne personne et avec la bonne formation, je vais être capable de décupler l’effet de son travail. C’est intéressant pour les décideurs en entreprise : si une gros volet d’activités d’une partie de ma population peut être automatisé, je dois repositionner les gens sur des métiers plus pérennes. »
  • « L’exploitation d’une talent marketplace permet d’orienter les individus dans une trajectoire de compétences recherchées dans le futur dans le cadre d’un redéploiement d’activité car l’IA va changer leurs métiers. Néanmoins, l’usage de l’IA comme ChatGPT nécessite des compétences particulières : comment faire un prompt par exemple ? Ce sera intuitif pour une certaine partie de la population mais il faudra apprendre pour les autres. Il faudra donc s’assurer que tout le monde soit embarqué dans cette révolution digitale, sous peine d’accroître certaines inégalités. Alors que l’IA a tout le potentiel pour rééquilibrer les rapports », déclare Julien Fanon, Managing Director, Accenture Strategy & Consulting - Talent and Organisation.

Jérémy Lamri (Tomorrow Theory) : « Nous voyons toujours l’IA sous l’angle productif et c’est un risque »

  • Jérémy Lamri, Tomorrow Theory - © D.R.
    Jérémy Lamri, Tomorrow Theory - © D.R.

    « L’arrivée de l’informatique a dévasté le secteur secondaire mais qui a permis de faire émerger l’économie tertiaire. Nous sommes dans un changement identique : avec l’essor de l’IA, qui pense l’économie quaternaire aujourd’hui ? »

  • « L’usage est contre-intuitif lorsque l’on pense à l’IA de manière générale. À un niveau intermédiaire de management, l’IA fait peur dans un premier temps puis elle est considérée comme une manière de gagner du temps. C’est une pensée naturelle de prendre l’IA comme un outil de productivité. Ce qui constitue un risque car nous n’avons pas l’habitude de le voir autrement. L’IA permet d’effectuer les tâches banales plus vite et de faire la plupart des autres tâches mieux. Elle permet de compléter un certain nombre d’angles morts dans la gestion des tâches. »
  • « La manière de l’employer est toujours vue sous un angle productif mais on pourrait la percevoir autrement. Prenons le cas d’un directeur dans une PME. Il peut demander à ChatGPT : ‘Quelle décision me recommandes-tu dans tel contexte ?’ C’est un usage productif. Mais on pourrait faire la même chose avec un usage réflexif qui développe la pensée : ‘Voici mon problème et voici le contexte. Quelle question dois-je poser pour résoudre le problème par moi-même ?’ Cela peut être utilisé en formation, en développement des talents, en collaboration managériale. »
  • « En règle générale, le manager est sous-staffé avec des juniors dans son équipe. Désormais, il est établi que le travail d’un junior cadre en une semaine peut être réalisé en moins d’une heure avec l’IA. C’est un vrai enjeu sur la chaîne de compétences. Comment faire pour que le cadre junior ne perde pas confiance en soi ? Où trouver le point d’équilibre ? », déclare Jérémy Lamri, CEO et cofondateur de Tomorrow Theory.

Photo d’illustration de gauche à droite sur le plateau du Sommet pour l’inclusion numérique : Eric Benoist (Pernord Ricard), Hubert Cotté (Workday), Alexandre Viros (The Adecco Group), Caroline Costa-Savelli (IGS), Jérémy Lamri (Tomorrow Theory), Julien Fanon (Accenture)