Harcèlement : Ubisoft dans la tourmente réagit à la crise RH
Par Philippe Guerrier | Le | Bien-être au travail
Face aux « allégations et accusations de mauvaise conduite et de comportements inappropriés », Ubisoft prend des mesures radicales entre sanctions, changement de fonction RH, enquêtes internes et feedback des collaborateurs.
Ubisoft est en ébullition. Les annonces de son événement Ubisoft Forward dans le gaming du 12 juillet ont été éclipsées par une troublante crise de gestion RH qui affecte l’éditeur d’origine française de jeux vidéo.
« Des comportement inappropriés » à gérer
Le numéro trois du secteur du gaming - avec des licences comme Assassin’s Creed, Far Cry, Just Dance, Watch Dogs, Ghost Recon mais aussi Lapins Crétins - est déstabilisé après des révélations dans la presse* relatives à des présumés comportements sexistes et des pratiques de harcèlement en interne. Ce qu’Ubisoft traduit de manière soft en « allégations et accusations de mauvaise conduite et de comportements inappropriés ».
Néanmoins, l’éditeur ne cache pas un problème de fond à ces 18 000 collaborateurs répartis sur plusieurs studios dans le monde (Canada, Vietnam, Allemagne, Australie…) et son siège social de Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Dans une volonté d’apaiser les tensions en interne, Yves Guillemot, CEO et fondateur d’Ubisoft, a commencé à adopter des sanctions et à prendre des initiatives visant à protéger et à écouter les salariés mal à l’aise.
« Personne ne devrait se sentir harcelé ou faire l’objet d’un manque de respect à son travail et les cas de comportements inappropriés dont nous avons récemment pris connaissance ne peuvent pas et ne seront pas tolérés », déclare Yves Guillemot dans une lettre ouverte diffusée le 2 juillet.
La crise RH entraîne des départs abrupts de top managers
Une salve de managers sont partis de la société ou sont sur le point de le faire, annonce Ubisoft le 12 juillet.
- Serge Hascoët, numéro deux de la société en qualité de Chief Creative Officer, a été démis de ses fonctions. Yves Guillemot assure le remplacement par intérim ;
- Yannis Mallat, directeur des studios canadiens d’Ubisoft, quitte aussi ses fonctions « avec effet immédiat » ;
- Cécile Cornet, DRH monde d’Ubisoft, part également alors que sa direction est accusée d’avoir étouffé les affaires. Avec cette crise, l’éditeur de jeux vidéo veut « restructurer et renforcer la fonction RH ». Un processus de recrutement externe est lancé par un cabinet spécialisé.
Plus tôt, le 3 juillet, une première vague de départs a été signalée :
- Un vice-président à Toronto qui a fait l’objet d’une procédure de licenciement « avec effet immédiat » ;
- Un autre employé de la filiale canadienne a fait l’objet d’une sanction similaire pour comportements inadéquats ;
- Un vice-président basé à Paris a été « placé en mise à pied conservatoire, dans l’attente des conclusions de l’enquête le concernant ».
Comment le CEO d’Ubisoft veut rétablir la confiance
Yves Guillemot, CEO d’Ubisoft, s’engage sur plusieurs points pour sortir de cette crise par le haut.
« Nous ne cherchons pas à appliquer un patch rapide mais plutôt un changement radical chez Ubisoft en alignement parfait avec nos valeurs qui ne tolèrent pas de comportements toxiques et qui permettent de libérer la parole (…) Dans cette perspective, j’initie une série d’initiatives qui serviront de feuille de route pour écouter, apprendre et agir », a-t-il déclaré début juillet.
Cet appel au changement tourne autour de trois orientations :
- Une nouvelle composition de la direction « Editorial » qui est stratégique pour Ubisoft mais décriée dans ce dossier ;
- Une transformation des process RH ;
- Un renforcement des responsabilités des managers en cas de sujet de harcèlement.
Une série de mesures pour renforcer la protection, la confiance et la sécurité des salariés sont édictées :
- nomination de deux responsables en charge de la culture d’entreprise appliquée à l’environnement de travail (« Head of Workplace Culture ») et en charge de la Diversité et de l’Inclusion (« Head of Diversity and Inclusion »), en lien direct avec Yves Guillemot ;
- lancement d’une enquête interne à propos des allégations de harcèlement par un cabinet-conseil tiers ;
- exploitation d’une plateforme d’alertes en accès confidentiel (Whispli) pour faciliter les signalements en cas de harcèlement, de discrimination ou « d’autres comportements inappropriés », en infraction avec le Code de bonne conduite instauré depuis 2015 chez Ubisoft.
- mise en place de dispositif d’écoutes et feedbacks des collaborateurs.
Le cas d’Ubisoft n’est pas isolé. Le monde du gaming fait régulièrement l’objet de controverses en lien avec des comportements déviants ou des pratiques déplacées. Ainsi, en décembre 2019, Riot Games (studio californien qui se trouve derrière le jeu League of Legends, propriété du groupe chinois Tencent) a accepté de régler 10 millions de dollars à un millier de collaboratrices de la période 2014-2019 dans le cadre d’une procédure collective devant la justice américaine pour discrimination.
Ubisoft : Elisabeth Moreno exprime son indignation
L’affaire Ubisoft commence à provoquer des remous dans la classe politique. « Je suis indignée par la culture du harcèlement que font régner certains dirigeants d’Ubisoft », évoque Elisabeth Moreno, la nouvelle ministre déléguée auprès du Premier ministre Jean Castex, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, dans un tweet de réaction diffusé le 12 juillet.
« J’ai toujours été extrêmement sensible à ces questions au sein des entreprises où j’ai travaillé et, en tant que ministre, j’y veillerai à chaque instant. L’impunité doit cesser ! ». Avant de rejoindre le gouvernement, Elisabeth Moreno a occupé diverses fonctions de management dans des sociétés comme Orange, Dell, Lenovo ou HP.
*Consultez notamment l’enquête à double focus menée par le quotidien Libération entre le 1er et le 11 juillet.