Le Slip Français : quand la vie privée des salariés affecte la réputation de l’entreprise
Par Philippe Guerrier | Le | Bien-être au travail
La marque Le Slip Français a été impactée par la diffusion virale d’une vidéo dérangeante de salariés réalisée dans un cadre privé. Retour sur cet engrenage avec un focus juridique du cabinet Actance.
Le Slip Français s’est retrouvé au centre d’une campagne de bad buzz par ricochet sur le thème de l’atteinte à la réputation de l’entreprise par comptes individuels interposés de réseaux sociaux de salariés.
Début janvier, une vidéo dérangeante, qui entrait dans la sphère de la vie personnelle (une soirée privée organisée à l’occasion des fêtes de fin d’année), commence à être relayée en premier sur des comptes Instagram comme « Décolonisons-nous » ou « Mais non ce n’est pas raciste ». Dans cette « Story » (courte séquence avec des photos et des vidéos), l’hôtesse de la maison, vêtue d’un boubou et arborant un « black face », accueille deux autres convives dont l’un se déguisera en singe sur fond sonore de « Saga Africa », encouragé par les rires de la troisième.
Sous l‘effet de la propagation virale des plateformes Instagram et Twitter, deux des trois participants de la soirée sont identifiés comme des salariés de la société 'Le Slip Français. Fondée en 2011 par Guillaume Gibault, l’entreprise de 115 personnes, a basculé dans un surprenant engrenage difficile à canaliser sur les réseaux sociaux.
Communiquer pour gérer la crise
Cette vidéo, réalisée dans un cadre de vie privée, a été largement relayée sur les plateformes communautaires. Elle finit par atteindre la réputation de cette entreprise parisienne de 115 salariés, qui élabore et commercialise des sous-vêtements pour homme et femme depuis 2011 et qui exploite aussi les réseaux sociaux d’un point de vue marketing pour mettre en avant ses produits. Un appel au boycott de la marque Le Slip Français est même lancé.
Depuis la diffusion de cette vidéo, la société a publié trois communiqués pour se défendre. « Nous sommes choqués et nous condamnons fermement ces actes (…) Toute manifestation raciste ou à caractère discriminatoire n’est pas acceptable pour notre entreprise (…) Les [2] salariés ont été convoqués et sanctionnés par la direction du Slip Français », indique la société le 3 janvier 2020 en guise de première réaction. Il s’agissait « d’une mise à pied à titre conservatoire » selon Guillaume Gibault, interrogé par l’AFP.
Ultérieurement, la société a précisé « qu’au-delà de ce cas individuel, nous souhaitons aller plus loin et encourager une prise de conscience collective sur le long terme » et affiche son intention de « sensibiliser l’ensemble des équipes à être des acteurs de la prévention et du changement dans la lutte contre les préjugés et les discriminations ».
Une troisième mise au point du Slip Français a été diffusée le 12 janvier 2020 : « Nous sortons tout juste de l’émotion et du choc subi par les 115 salariés du Slip Français ces derniers jours (…) Un Made in France qui n’est pas pour nous qu’une appellation géographique. Pour nous, le Made in France, c’est avant tout l’esprit d’innovation, d’audace, de tolérance et d’ouverture. »
Pour aller plus loin : focus juridique • Exclusive RH propose un extrait de l’éclairage juridique de Chloé Bouchez et Assia Chafaï du cabinet d’avocats Actance, en coopération avec notre média partenaire News Tank RH.
L’entreprise peut-elle sanctionner ?
Exclusive RH propose un extrait de l’éclairage juridique de Chloé Bouchez et Assia Chafaï du cabinet d’avocats Actance, en coopération avec notre média partenaire News Tank RH. Est-il possible de sanctionner ces salariés et plus largement de rompre leur contrat de travail et sur quel fondement ?
« Il convient de dissocier les impératifs de communication face aux atteintes à l’image de la société de la réalité juridique dès lors que, dans cette affaire, les comportements décriés sont survenus dans la sphère privée et que la société n’est jamais mentionnée dans la vidéo », évoquent les deux avocates.
- Dans l’affaire du Slip Français, il faut considérer trois éléments selon Actance :
- Rien n’indique si le profil de l’auteur des vidéos était public ou si le site qui les a diffusées les a obtenues par le biais d’une personne dont l’accès était autorisé ;
- En tout état de cause, ces vidéos ont été rendues publiques et l’employeur en a eu connaissance de manière loyale ;
- Leur large diffusion et leur contenu regrettable ont bien entendu contraint la société à condamner sans délai les agissements de ses salariés.
Dans un arrêt du 12/09/2018 concernant Facebook, la Cour de cassation a précisé que : « Ne sont pas constitutifs d’une faute grave les propos injurieux diffusés par un salarié sur un compte de réseau social Facebook accessibles aux seules personnes agréées par lui et composant un groupe fermé de quatorze personnes, de tels propos relevant d’une conversation de nature privée. »
La position des juges dépend donc des précautions prises par le salarié pour assurer la confidentialité de son compte, évoquent Chloé Bouchez et Assia Chafaï.
- La configuration des paramètres de sécurité et de filtrage affiné des réseaux sociaux est donc importante :
- Si le compte est ouvert à tous ou à un nombre important de personnes, il prend la forme d’un espace public. Dans ce cas, l’employeur peut se prévaloir d’un contenu accessible à tous pour prononcer une sanction ;
- Si le compte exploite divers paramètres de confidentialité pour restreindre la diffusion à un cercle restreint (donc hors de portée de l’employeur), l’employeur ne peut pas prendre de sanction en raison du caractère privé du contenu partagé de manière très sélective. Peu d’instruments d’anticipation
Alors, quelles sont les possibilités d’action lorsqu’un acte de la vie personnelle du salarié cause un préjudice à la société ?
Le licenciement disciplinaire est admis dans des hypothèses limitatives. Pour prononcer un licenciement non disciplinaire, il faudra démontrer que le comportement tiré de la vie personnelle du salarié a causé un « trouble caractérisé » au sein de l’entreprise.
- Le trouble pouvant être apprécié de différentes façons :
- De la nature des fonctions occupées par le salarié ;
- De la finalité de l’entreprise (objet social, activité) ;
- De l’impact des agissements du salarié au sein et en dehors de l’entreprise (réputation, ambiance de travail, impact sur la clientèle et les investisseurs…).
Peu d’instruments pour anticiper
Pour anticiper de tels incidents, les employeurs devraient davantage s’appuyer sur les Chartes informatiques et Chartes éthiques bien que ses leviers se limitent à la sphère professionnelle. « En définitive, l’employeur dispose de peu d’instruments pour anticiper les dérives de ses salariés sur leurs réseaux sociaux privés », constate le cabinet Actance.
Autant revenir à l’essentiel : sensibiliser les salariés aux bonnes pratiques qui doivent guider l’usage de leurs réseaux sociaux. La CNIL formule diverses préconisations à ce titre. En particulier le respect de cette règle d’or : « Soyez méfiants et gardez certaines informations absolument confidentielles : ne dévoilez pas trop de votre vie privée sur internet, ne partagez pas vos informations avec n’importe qui. »