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Alexandre Pachulski (Génération IA) : « La marge d’évangélisation est grande »

Par Philippe Guerrier | Le | Motivation & engagement

Le cofondateur de Talentsoft et auteur publie un ouvrage qui mélange sa culture ciné-TV de science-fiction et ses réflexions sur l’IA. Un angle rafraîchissant sur une lame de fond technologique dont on n’a pas toujours conscience. Y compris les DRH.

Alexandre Pachulski (Génération IA) : un auteur et entrepreneur prolixe en contributions IA - © D.R.
Alexandre Pachulski (Génération IA) : un auteur et entrepreneur prolixe en contributions IA - © D.R.

Alexandre Pachulski, cofondateur de Talentsoft et auteur, veut vulgariser les enjeux de l’intelligence artificielle en y associant sa culture ciné et télé. Dans son deuxième ouvrage « Génération I.A » (sortie prévue le 19 août 2020), le docteur en intelligence artificielle, qui occupe les fonctions de Chief Technology Officer de l’éditeur de solutions de gestion du capital humain, revisite 80 films et séries TV de science-fiction pour en tirer une « substantifique moelle IA ».

Interview avec l’auteur et l’entrepreneur qui a trouvé une source d’inspiration dans sa consommation de médias audiovisuels. Ce qui aboutit à une réflexion sur l’impact de l’IA d’un point de vue global et d’un point de vue gestion des ressources humaines.

D’où vient l’intérêt particulier que vous portez à l’intelligence artificielle ?

Dans la période 1996-1997, j’étais inscrit à la faculté de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) quand j’ai découvert l’intelligence artificielle en tombant sur l’ouvrage « L’expert et le système ». Cela m’a vraiment intrigué. Je trouvais que c’était une belle façon de comprendre l’humain sous une forme plus rationnelle et de l’aborder autrement que par les sciences humaines, la philosophie ou la psychologie. J’ai décidé de faire des études informatiques pour me spécialiser ensuite dans l’intelligence artificielle.

A la cinquième année de faculté, j’ai fait un DEA sur des thématiques mi-IA mi-sciences cognitives. J’ai consacré ma thèse à un sujet sur la manière de former les connaissance, celle de les véhiculer en entreprise et sur l’appui des technologies. A cette époque, l’intelligence artificielle n’était pas dans l’air du temps. Nous étions plongés en plein « deuxième hiver » [période au cours de laquelle les progrès dans l’IA patinaient]. Même l’intérêt vis-à-vis de l’informatique restait limité.

J’ai toujours vécu avec un « dysfonctionnement » : c’est inutile de vivre avec un plan quinquennal de la vie, autant consacrer du temps à ce qui m’intéresse, que cela mène à un métier ou pas. Voilà comment je suis tombé dans l’IA. 20 ans plus tard, il s’est révélé que mon pari était gagnant.

Quand on parle d’IA dans la conscience collective, c’est souvent l’image de Terminator qui ressort en premier. Pourquoi ce biais surgit à votre avis ?

L’image est tellement puissante que l’on parle même du mythe du Terminator pour ceux qui ont théorisé le film. Elle revient le plus régulièrement dans notre entourage et dans les médias lorsqu’on évoque l’IA. De façon spectaculaire, nous voyons le retournement de l’IA contre l’homme. Et Skynet symbolise la perte de contrôle, thème central du film.

C’est exactement en résonance avec ce que les gens redoutent : pourquoi « ça » nous échappe ? C’est un peu le prolongement moderne du mythe de Frankenstein avec la perte de contrôle de l’humain sur sa créature.

J’aborde des hypothèses à ce sujet dans mon ouvrage. Et, en revenant sur notre temps actuel, il demeure une question terrifiante : qui s’occupe vraiment de la gouvernance de l’IA pour apporter des réponses ? Quasiment personne. Cela me fait beaucoup plus peur que Terminator.

Il est si difficile de savoir qui fixe vraiment la voie de l’IA ?

L’IA devrait être un débat sociétal et politique.

A ma petite échelle, je ne sais pas honnêtement. Pourtant, j’ai écrit des ouvrages sur l’IA et je participe à des think tanks sur le sujet, dont France Digitale [Alexandre Pachulski fait partie de la commission IA]. Ce devrait être un débat sociétal et politique face à des cercles de géants du numérique (GAFA, BATX) qui avancent très vite dans l’appropriation technologique et au gouvernement chinois qui adopte des mesures régaliennes de sécurité en y associant l’IA et en touchant encore plus aux libertés individuelles.

En tant qu’expert, je suis les travaux de recherche réalisés dans le monde, comme ceux de MILA [Institut de Montréal pour les algorithmes d’apprentissage]. Mais je ne vois pas émerger de réel débat public pour évaluer les enjeux de l’IA. Or tout va se jouer dans les dix prochaines années et l’ensemble des domaines de vie seront impactés. Il faudrait davantage vulgariser le sujet pour favoriser une prise de conscience.

Dans votre domaine de prédilection, on avance souvent l’idée que l’IA va supprimer des emplois humains. Qu’en pensez-vous ?

Je perçois la tentation forte de remplacer l’homme par une machine qui n’émet pas de revendication ou qui ne tombe pas malade. Mais ce n’est pas ma vision : l’IA pourrait ne pas remplacer l’humain mais le compléter.

Dans mon ouvrage, je prend comme exemple - certes un peu bas de gamme - la série K 2000. La voiture ordinateur KITT ne vient pas remplacer du héros Michael Knight [interprété par David Hasselhoff]. La combinaison devient intéressante.

Autant déléguer les tâches automatisables à un robot et former les humains à développer des missions plus enrichissantes d’un point de vue intellectuel. Dans ce sens, la cobotique, c’est-à-dire le développement du robot, de l’IA et de l’homme, est intéressante. On revient toujours à des débats de choix de société.

A travers Talensoft, comment percevez-vous le degré d’intérêt des DRH vis-à-vis de l’impact IA sur leur travail ?

Il faut comprendre plus finement les enjeux de l’IA et les projets réalisables.

La marge d’évangélisation est grande et la situation va durer encore quelques années en passant par des phases d’expérimentation. Il faudrait commencer par être en mesure de distinguer de l’IA et de l’algorithmie améliorée. Il y a encore trop de confusion dans les concepts pour que l’on cerne vraiment le potentiel qui est grand. Dans leur mission, les DRH rencontrent certaines problématiques persistants : 

  • comment détecter ou attirer tous les talents dont les entreprises ont besoin ;
  • comment s’assurer du retour sur investissement des sessions de fomations, qui brassent beaucoup d’argent.

Il demeure une certaine incompréhension car il naît une forme d’espoir autour des technologies IA qui pourraient résoudre les problématiques non résolus par les humains. Mais cela ne pas se passer ainsi. Les technologies ne vont pas d’auto-déterminer à partir de directives à suivre. Il faut comprendre plus finement les enjeux d’IA et les projets réalisables. Nous ne parlons pas de technologie sur étagère. Il faut au préalable saisir comment chaque entreprise fonctionne pour mieux exploiter l’IA de manière personnalisée.

Sur l’ensemble des références ciné-TV de l’ouvrage, s’il y avait un film et une série à retenir, lesquelles choisirais-tu ?

  • Ma série TV préférée, sans hésitation, c’est Person of Interest [qui a commencé à être diffusé en France en novembre 2016]. Je trouve que c’est la plus didactique en matière d’IA avec des réflexions éthiques sur son usage. Derrière cette série, on trouve Jonathan Nolan [frère du réalisateur Christopher Nolan], le créateur d’une autre série aussi intéressante d’un point de vue technologique : Westworld.
  • Pour le film, c’est plus banal : 2001, odyssée de l’espace [réalisé par Stanley Kubrick et sorti en 1968]. C’est le premier film qui met en avant une IA et une forme de matrice de la science-fiction moderne : une machine intelligente peut-elle développer sa propre conscience et aller à l’encontre des humains ?

L’Autre école : Alexandre Pachulski s’implique dans un projet d’éducation alternative

Alexandre Pachulski s’est également associé à Lionel Sayag pour développer L’Autre école. Il s’agit d’une école alternative pour la tranche d’âge 3-12 ans combinant diverses pédagogies à destination d’enfants de classes sociales différentes. « Nous voulons redonner de l’autonomie à l’enfant pour se découvrir », évoque-t-il. « Nous voulons les inciter à apprendre par soi-même et à prendre des risques. L’enjeu n’est pas d’acquérir des connaissances mais de s’adapter en fonction du contexte. La crise Covid-19 est un bel exemple pour se mettre dans de nouvelles dispositions face à une situation inédite. » La troisième rentrée aura lieu à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). « Nous essayons de sortir de sortir du système de caste scolaire : les parents de toutes catégories sociales paieront en fonction de leurs revenus avec cette école alternative », précise Alexandre Pachulski. « Vu la tranche d’âge retenue, nous ne parlerons pas d’IA aux élèves. C’est un peu tôt. En revanche, nous leur proposons de travailler avec des robots et nous facilitons les usages numériques. »

*Génération I.A par Alexandre Pachulski, Editions Hachette. sortie prévue le 19 août 2020.