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Vincent Huguet, Malt : « Les grands comptes cherchent un accès direct aux compétences en freelance »

Par Philippe Guerrier | Le | Site emploi spécialisé

Malt lève 80 millions d’euros et réveille le marché du travail en freelance avec sa plateforme d’intermédiation avec les entreprises. Le point sur les prochaines étapes avec le CEO cofondateur.

Vincent Huguet, CEO et cofondateur de Malt - © D.R.
Vincent Huguet, CEO et cofondateur de Malt - © D.R.

Malt vient de marquer la HR Tech française avec sa levée de fonds de 80 millions d’euros auprès des fonds Goldman Sachs Growth Equity, Eurazeo et de ses investisseurs historiques Isai et Serena.

En zoomant davantage sur le secteur, la plateforme de consulting en mode freelance signe le deuxième plus grand financement dans le secteur repéré depuis le début de l’année, après Payfit (gestion de la paie) et ses 90 millions d’euros.

Ou le troisième si l’on étend le spectre RH à des acteurs comme Alan (assurance santé) qui a levé 185 millions d’euros.

Le financement de Malt permettra de  :

  • Développer la plateforme technologique et proposer les meilleures solutions de matching entre l’offre et la demande, de contractualisation, de paiement et de facturation ;
  • Poursuivre l’expansion européenne : après l’ouverture de bureaux à Madrid en Espagne, et à Munich en Allemagne, de nouvelles plaques géographiques ou marchés sont visés comme le Benelux, l’Italie et le Royaume-Uni à travers des activités qui pourront démarrer par croissance organique ou externe.
    Conséquence sur l’effectif de cette extension d’activité : le nombre de collaborateurs de Malt devrait doubler pour passer de 200 à 400 d’ici la fin de l’année.

Cofondée en 2013 par Vincent Huguet (CEO) et Hugo Lassiège (CTO) sous la bannière Hopwork, le changement de nom pour Malt est survenu fin 2017.

Dans son parcours de financement, la start-up avait levé 5,5 millions d’euros entre 2014 et 2016. Avec ce nouveau tour de table de 80 millions d’euros, la valorisation de Malt bondit à 410 millions d’euros (500 millions de dollars) selon TechCrunch.

Malt compte parvenir à un volume d’affaires d’un milliard d’euros à l’horizon 2024. En attendant, elle devrait afficher 200 millions d’euros fin 2021 avec son réseau de 250 000 consultants freelance et ses 30 000 entreprises utilisatrices de sa plateforme.

Pourquoi de telles perspectives financières aussi stimulantes ? Au-delà du développement de Malt, le marché du conseil freelance est estimé à 350 milliards d’euros en Europe avec une base de 6 millions de professionnels concernés.

Voici quelques extraits de l’interview que Vincent Huguet vient d’accorder à notre média partenaire News Tank. 

Le ralentissement de l’économie lié à la crise Covid-19 a-t-elle freiné votre dynamique d’activité ?

Comme beaucoup d’entreprises, nous avons été marqués par des arrêts d’investissements et de projets. Surtout pendant le deuxième trimestre 2020 lors du premier confinement.

À partir de septembre, nous avons observé une certaine transformation de la gestion RH avec la généralisation du travail à distance, et l’idée de collaborer avec des freelancers en mode projet s’est développé pour gagner en agilité.

La tendance de fond était déjà là avant la crise mais nous avons gagné trois à quatre ans d’évangélisation pour basculer dans un modèle opérationnel.

De grandes entreprises lancent des appels d’offres pour ouvrir des collaborations avec des travailleurs en freelance. C’est l’accès à un nouveau vivier de compétences et de talents dans :

  • la tech ;
  • la data (40 % de notre base) ;
  • le design (30 %) ;
  • et d’autres fonctions dans le marketing, la communication, la gestion de projet et les fonctions de support comme les finances et les RH. Il est possible de trouver des talent acquisition managers disposant d’un profil de travailleurs en freelance.

Au début de la crise de la Covid-19, nous avons ressenti un certaine stabilité sur le nombre de travailleurs en freelance. Depuis début 2021, nous observons une accélération du nombre d’inscriptions avec parfois des niveaux records (8 000 nouveaux membres en un mois).

Le fait d’être freelance est un choix de mode de vie professionnelle qui permet de quitter les contraintes du salariat. C’est une manière de travailler autrement - d’ailleurs souvent plus - tout en choisissant les missions, les projets, les niveaux de facturation et en déterminant ses moments de formation. La Covid-19 a servi de déclic à certains salariés pour s’y lancer.

Il est important de distinguer les travailleurs en freelance qui fournissent des prestations intellectuelles au service des entreprises (tendance cols blancs) de la sphère de la Gig economy avec l’idée sous-jacente de précarité (tendance cols bleus).

Dans quelle mesure le freelancing se développe-t-il au sein des clients grands comptes comme les entreprises du CAC 40 ?

Historiquement, nous avons démarré avec des sociétés de la French Tech qui ont été les premiers à s’appuyer sur des ressources RH en freelancing. Puis des PME aux profils plus classiques se sont inscrites et les grands comptes ont suivi.

Nous travaillons avec 80 % des entreprises de l’indice CAC 40 et nous sommes référencés à côté d’ESN ou de cabinets conseils. L’usage de notre plateforme est différente en fonction des clients.

C’est d’ailleurs l’un des enjeux de Malt : accentuer la mise à l’échelle afin d’inciter les clients grands comptes à recourir davantage à notre service.

Traditionnellement, un groupe bancaire est en mesure de dépenser un milliard d’euros en prestations intellectuelles externalisées.

Ces clients grands comptes recherchent des compétences spécifiques à travers un réseau de consultants. Ils veulent désormais trouver des chemins d’accès directs pour collaborer avec des travailleurs en freelance.

On peut trouver plusieurs raisons à cette tendance :

  • des prestations en freelance parfois moins chères par rapport à des structures d’accompagnement plus lourdes ;
  • la recherche de soft skills plutôt que de hard skills ;
  • la quête de profils qui « butinent » avec de multiples expériences sectorielles en mode start-up ou scale-up utiles au nom de l’acculturation digitale.

Quels sont les fondamentaux du modèle économique tripartite entre Malt, les travailleurs en freelance et les entreprises clientes ?

Relations tripartites de Malt : la boucle - © D.R.
Relations tripartites de Malt : la boucle - © D.R.

Nous apparaissons comme un apporteur d’affaires avec des services technologiques et un double système de commissionnement entre les travailleurs en freelance et les entreprises clientes. Il n’existe pas de frais d’installation (set-up fee) ou de barrière à l’entrée.

  • Coté freelance, le commissionnement dépend de la durée de la mission. Plus la relation sera longue, plus la commission sera dégressive ;
  • Côté entreprise cliente, la facturation dépend du niveau de service et des options proposées.

Malt : l’écosystème triangulaire - © D.R.
Malt : l’écosystème triangulaire - © D.R.

En France, deux associations sont établies pour protéger les intérêts des travailleurs des plateformes numériques : l’API dans une logique de « plateformisation » et l’UPNE plus près de l’intérim digital. Quel camp avez-vous choisi ?

Malt est « membre observateur » au sein de l’API pour regarder ce qui se passe sur le marché des travailleurs indépendants avec les plateformes.

Notre modèle est plus protecteur en mettant en relation directe le travailleur en freelance et l’entreprise cliente. Nous sommes vigilants sur le délit de marchandage ou de prêt de main d’œuvre illicite.

Il serait intéressant de disposer, de la part du Gouvernement, d’un modèle plus clair du statut de ces travailleurs entre Gig economy et talent economy.