Future of work : le YOLO comme mot d’ordre ? (Think RH 22)
Par Philippe Guerrier | Le | Bien-être au travail
Kevin Bouchareb, directeur Future of work and HR strategy de l’éditeur de jeux vidéo Ubisoft, a abordé les nouvelles attentes des salariés en matière de modernisation des cadres de travail et de collaboration, et a proposé quelques pistes qui émergent au sein des entreprises pour tenter d’y répondre, dans une passionnante Master Class lors de la convention Think RH 22.
Le télétravail et la flexibilité
« Le télétravail a vocation à répondre à l’aspiration grandissante vers plus de flexibilité et de maîtrise de son temps et de ses espaces. »
« Le télétravail est la première question posée systématiquement lors d’un entretien d’embauche. Elle est posée parfois en des termes étonnants : “Combien de temps ai-je le droit de télétravailler ?” ou “Je peux disposer de combien de jours de télétravail par mois ?” »
« Avec l’essor du télétravail, le Conseil national de la productivité [rattaché à France Stratégie] évoque un gain de productivité individuelle entre 5 à 10 %. Mais il y a un fossé dans la perception entre les dirigeants et les employés, qui se joue notamment sur la question de la productivité collective. »
« De manière générale, on sent qu’il existe une tension très forte autour de la notion de “complexe de Dieu” , qui consiste à dire : “Nous, leaders, sommes mieux placés pour savoir qui est le mieux pour les collaborateurs” . Les équipes souhaitent de plus en plus décider pour elles-mêmes, en concertation, et l’organisation doit pouvoir les accompagner dans ce processus ».
« Une piste intéressante et que je vois émerger de plus en plus dans les entreprises est le modèle de flexibilité basé sur les activités plutôt que sur le rythme. Il s’agit d’analyser quelles sont les activités qui sont objectivement plus efficaces en présentiel (par exemple, l’onboarding, la formation, les phases de conception d’un projet, les team buildings etc.) et de s’assurer que les équipes soient en présentiel lors de ces activités, plutôt que de suivre un rythme par défaut, et de leur laisser bien davantage de flexibilité en dehors de ces activités ».
Le concept de « Work from anywhere »
« Il consiste à dépasser les deux types classiques de lieux de travail (bureau, domicile). On note clairement qu’à l’échelle internationale, la génération 20-35 ans regrette que l’on soit obligé d’attendre les vacances pour voyager dans des destinations de rêve ou effectuer des visites de familles. »
« Nous avons remarqué des initiatives comme celle de Publicis, ‘Work your World’, qui donne la possibilité à ses collaborateurs de travailler depuis l’étranger jusqu’à 90 jours par an, ou des modèles encore plus permissifs récemment développés par des entreprises comme Air B’n’B. Mais ce sont des dispositifs coûteux et complexes à mettre en place juridiquement sous un angle de mobilité internationale. »
« Les pays de l’Union Européenne apparaissent comme un bon cadre pour démarrer des politiques de ce type, pour des raisons de libre circulation des personnes, de maintien de la sécurité sociale et du non-impact de taxes professionnelles ou d’impôts personnels. De manière surprenante, on voit que dans les entreprises où ça existe déjà, au-delà des jeunes collaborateurs, des parents se sont aussi manifestés en y voyant une opportunité d’organisation de voyage à but familial. »
Le YOLO
Acronyme de « You Only Live Once » (YOLO), c’est un état d’esprit qui sous-tend une manière de vivre : « Si nous n’avons qu’une vie, pourquoi la gaspiller à tenter de la gagner ? » ou « Pourquoi accepter le dogme que le travail serait la pierre angulaire d’une vie réussie ? ».
« Le YOLO s’appuie sur deux piliers :
- Une aspiration portée par la génération Z, qui veut s’investir dans d’autres domaines en tant qu’individus.
- Une remise en cause de la notion de subordination sous l’angle : « Je ne veux plus me lancer corps et âme dans un projet uniquement pour le compte de mon employeur. Je veux passer du temps à me cultiver de manière physique, intellectuelle, et spirituelle et à m’investir autrement (engagements politiques, syndicales…). »
« Cet état d’esprit, qui se développe depuis une vingtaine d’années déjà, à en juger par le boom des travailleurs indépendants ou à l’émergence du travail asynchrone, doit inviter les organisations à réfléchir à des modèles d’organisation du travail et de carrière qui tiennent compte de ces aspirations, et qui proposeraient par exemple des mobilités internes plus fréquentes et plus horizontales ; qui mettent en place un vrai management par objectif plutôt que par le temps ; qui donnent l’opportunité aux collaborateurs de s’investir concrètement dans des sujets de RSE et d’avoir un impact positif sur le monde etc. »
« Parmi les initiatives les plus intéressantes, on voit un certain nombre d’organisations lancer des tests autour de la semaine de quatre jours. Je pense également aux “congés respiration” mis en place chez Orange et Accenture pour réfléchir aux pratiques professionnelles, prendre du recul, faire d’autres activités. Tout en acceptant d’être payé à 50 % sur une période de trois à six mois. »
L’expérience de travail augmenté
« Qui n’a pas déjà fait l’expérience d’une réunion hybride où la moitié des participants travaillent depuis chez eux pendant que l’autre moitié est au bureau ? C’est pénible, excluant, et souvent, assez peu efficace ! »
« De nombreuses entreprises investissent aujourd’hui dans des champs de recherche mêlant nouvelles technologies, design, et expérience collaborateur, afin de réenchanter le travail à l’orée de l’hybride, et de pallier ses inconvénients.
« Dans ce contexte, on pense évidemment au Metavers, qui est l’une des pistes les plus prometteuses pour disposer d’un espace de travail virtuel, collaboratif et inclusif, et qui permette de singulariser l’expérience employé digitale, de la personnaliser, et surtout de la connecter avec la multitude d’applications et d’outils qui font le quotidien de travail des collaborateurs. »
Future of work : les recommandations RH de Kevin Bouchareb
- Faire (vraiment) confiance à ses collaborateurs ;
- En finir avec l’excès de consensus dans les décisions RH et pousser la concertation en la décentralisant au maximum pour prendre conscience de réalités qui nécessitent de prendre des mesures RH parfois radicales ;
- Stopper toutes formes de « complexe de Dieu » et laisser de l’autonomie aux équipes pour tester des modèles d’organisation de travail qui leur semble pertinents ;
- Oublier les rôles régaliens « police-justice » des DRH au nom d’un développement plus ouvert et innovant de politiques RH ;
- Accepter le YOLO au lieu de tenter de le combattre.