Alexandre Pachulski - Talentsoft : « Le manager de proximité joue le rôle d’une sonde RH »
Par Philippe Guerrier | Le | Motivation & engagement
Avec l’appui d’une étude OpinionWay sur le management de proximité de demain, le cofondateur de Talentsoft aborde l’importance de ce profil de manager proche des équipes qui occupe une fonction sociale et RH accrue.
Comment le management de proximité sort renforcé de la crise, au point de ressembler de plus en plus à du coaching ?
Dans une étude Talentsoft - OpinionWay réalisée en mai, quelques tendances se distinguent dans cette nouvelle relation entre manager de proximité et collaborateur. Avec la vulgarisation du télétravail, le management à distance et la méthode hybride (une partie en présence, une partie à distance), l’organisation du travail a été chahutée en 2020.
L’éditeur de solution de gestion du capital humain (HCM), qui était en voie de rapprochement avec Cegid au moment de la publication de l’étude dans le courant du printemps mais désormais intégré officiellement depuis le 12 juillet, étudie l’impact des managers de proximité.
Au-delà des extraits proposés de l’étude OpinionWay, Alexandre Pachulski, cofondateur de Talentsoft, a accepté d’apporter des commentaires sur la portée RH qui sous-tend la fonction de manager de proximité. Surtout dans une période chahutée que nous vivons en termes d’organisation de vie professionnelle.
Parmi les principaux enseignements :
- 81 % des dirigeants d’entreprise ayant intégré le télétravail considèrent que les managers de proximité ont su adapter leur mode de management au travail à distance. Le taux est moindre quant on se tourne vers les collaborateurs en posant la même question (70 %) ;
- 76 % des dirigeants assurent avoir davantage associé les managers de proximité aux décisions stratégiques.
- 72 % des dirigeants pensent que le rôle des managers de proximité a évolué vers plus d’accompagnement et de coaching, contre 40 % pour les collaborateurs.
- 8 dirigeants sur 10 affichent leur volonté de capitaliser sur les soft skills de leurs managers. Ces compétences transversales sont jugées « critiques » par 60 % des collaborateurs de moins de 35 ans.
Managers de proximité : perception non uniforme des attentes principales
Il est intéressant de constater la différence de l’image entre les dirigeants et les encadrés à propos du manager de proximité.
- Du côté des dirigeants interrogés, ils recherchent d’abord des capacités à motiver les troupes (90 %), de bon organisateur de la production (89 %), de disponibilité auprès des équipes (86 %), de partage d’expertise métier avec les équipes (85 %) et d’attention vis-à-vis de la qualité de vie au travail (85 %).
- Du côté des encadrés, ils considèrent que la première des qualités requises des managers de proximité est l’attention portée à la QVT (sous l’angle du respect de l’équilibre vie pro/vie privée et bien-être physique et mentale) avec 53 %. La capacité de stimuler les équipes arrive au deuxième rang (51 %) puis la disponibilité (45 %). La « souplesse » est aussi une valeur importante aux yeux de 38 % des encadrés. Puis la « bonne organisation de la production » arrive en cinquième position.
« Nous avons beaucoup parlé de la personnalisation de la relation de travail. Jusqu’ici, on parlait beaucoup du manager coach pour qu’il aide les collaborateurs dans le développement de leur carrière », commente Alexandre Pachulski, cofondateur de Talentsoft.
« Mais, avec la crise Covid-19, il se passe quelque chose de particulier. Le contexte a été vécu de manière différente selon l’environnement familial et la situation économique. Et parfois comme une fracture voire un traumatisme. »
« La crise Covid-19 a montré que nous ne sommes plus en contrôle de nos carrières professionnelles. Les gens s’interrogent : ‘Quels sont mes besoins maintenant ?’ alors que demain est plus incertain que jamais. Nous ne comptons plus le nombre de déménagements voire de changements de métiers dans les entreprises », estime Alexandre Pachulski.
« L’individu souhaite que le manager l’aide à répondre à ses attentes. Mais le manager ne doit pas gérer une somme de contraintes individuelles. Il doit créer une équipe. La crise a montré qu’il y avait beaucoup de managers qui n’ont pas été suffisamment à l’écoute de leurs collaborateurs. Dans cette période de crise, ils doivent les ramener dans une traction de monde nouveau, au-delà de la dimension productiviste. La gestion des talents devient un facteur-clé à développer au sein du management et c’est au rôle des DRH d’aider les managers dans ce sens. »
La crise Covid-19 a amené les équipes à se dispatcher et à apprécier les avantages du télétravail. Mais gare à l’indigestion. « Du côté des collaborateurs, je pense que c’est une erreur d’appréciation de considérer que les successions de tâches professionnelles peuvent être simplement réalisées chez soi ou dans un café. Les vrais processus de création et de collaboration dépassent les sessions de visioconférence sur Microsoft Teams », évoque Alexandre Pachulski.
« Cela ne remplace pas un déjeuner qui favorise une véritable écoute entre un manager et un collaborateur. Il est important de garder des moments en équipe au-delà des tâches individuelles. Tout le monde est conscient que c’est contraignant d’effectuer les déplacements par les transports en commun mais je trouve qu’avec le télétravail à temps plein ou presque, on a placé le curseur trop loin. »
Soft skills : celles qui prévalent au titre de manager de proximité
Il est intéressant de constater quelques faisceaux convergents dans l’analyse des compétences transversales entre dirigeants et encadrés mais aussi quelques divergences dans l’appréciation.
- Du côté des dirigeants interrogés, l’aptitude de prendre des décisions est primordiale (citée dans 58 % des cas et mise en exergue dans 25 % des cas). Puis « l’intelligence relationnelle » arrive en second plan de très près (citée dans 56 % des cas et soulignée dans 26 % des cas). A un niveau quasi-identique, la gestion du temps et la culture du feedback apparaissent comme des volets importants dans les soft skills. La créativité pointe en cinquième place (citée dans 31 % des cas et comme la première dans 8 % des cas).
- Du côté des encadrés, c’est l’intelligence relationnelle qui prime (citée dans 52 % des cas et exposée en première ligne dans 23 % des cas) tandis que la prise de décision est reléguée en deuxième place (citée dans 49 % des cas et mise en avant dans 18 % des cas). La gestion du temps est également bien positionnée dans ce versant du panel (citée dans 40 % des cas, 12 % la promouvant en qualité majeure). La culture du feedback est bien perçue également (citée à 41 % dont 11 % la juge importante). En cinquième position, c’est l’intelligence émotionnelle qui se distingue (citée dans 38 % des cas et 12 % la considérant comme une valeur essentielle).
« On devrait davantage parler de ‘HR de proximité’ que de management de proximité. C’est l’interlocuteur RH avec qui je peux construire quelque chose et qui est différent du top manager. L’importance de son rôle a été démontrée pendant cette crise. Mais ce serait un mensonge de dire que tout le monde s’en est bien sorti dans cette approche. Souvent, c’était l’unique porte vers l’entreprise qui restait. C’est souvent lui qui détectait quand un collaborateur se sentait mal ou se retrouvait isolé. Plus qu’un point de contact, il joue le rôle d’une sonde. Certes, les managers concernés se sont retrouvés démunis pour faire face à la crise mais c’est aussi parce que la période a été dure que ce rôle-là est devenu indispensable », commente Alexandre Pachulski.
« Je considère qu’aujourd’hui, le travail est une plateforme citoyenne pour créer du lien social et des opportunités auxquelles on n’a pas accès dans sa vie personnelle. Je trouve qu’il y a un déport du rôle du travail dans la société. Ce n’est pas choquant de proposer des services de bien-être via des applications professionnelles pour contribuer à l’épanouissement individuel.
Il ne faut pas confondre sphères professionnelle et personnelle d’un côté et sphères publique et intime de l’autre.
L’entreprise n’a pas à rentrer dans ce dernier cercle que l’on peut considérer comme son jardin secret et qui concerne l’entourage proche (amis, famille) des collaborateurs », poursuit le cofondateur de Talentsoft.
« De manière plus prosaïque, c’est aussi une question d’argent pour accéder à ces services de bien-être. C’est l’entreprise providence face à l’Etat providence. Je ne vois pas d’intrusion dans la sphère de l’intime du moment qu’une application comme Ma Bonne Fée («assistance et bien-être des salariés »), que nous proposons via Talentsoft, ne fait l’objet d’aucun reporting auprès du management», considère notre interlocuteur.
« Il y a des limites à cette approche de management de proximité. Certains managers ne savent pas comment réagir face à la détresse sociale. D’autres ne veulent vraiment pas s’en préoccuper. Le statut de manager pouvant juste être perçu comme une promotion au regard du bon travail réalisé et des objectifs de performance atteints. Pour ma part, je pense qu’il faut dépasser cette vision et intégrer une dimension sociale. C’est une conviction qui est loin d’être partagée. Mais nous disposons de suffisamment d’outils collaboratifs pour le suivi et la relance entre collaborateurs et managers. Et ce, avec l’appui de l’automatisation et de l’intelligence artificielle », poursuit-il.
« Du point de vue des DRH, beaucoup d’entre eux perçoivent cette évolution de management de proximité comme une forme de substitution de leur rôle par les managers. Et ils ne le voient pas forcément de manière positive. Après, on voit bien qu’une partie des managers n’est pas prête à prendre le relais.
Le rôle des RH demeure important car il est davantage écouté par le CEO dans cette période de réglementation RH mouvante liée à la crise Covid-19. Cette évolution n’est qu’une accélération de la transition que nous avions tracée chez Talentsoft.
Un rôle de créateur de possible qui consiste à construire un cadre de travail dans lequel les gens peuvent agir. Mais on ne peut plus agir à la place des gens. A travers le SIRH et Talentsoft, c’est presque un outil d’émancipation que nous vendons aux salariés et aux managers. Ce qui permet de positionner le DRH dans son rôle le plus noble : créer les conditions pour réinventer l’expérience de travail. »
Méthodologie de l’étude OpinionWay - Talentsoft
• Echantillon de 300 dirigeants d’entreprise et de 610 salariés encadrés en France. Tous les répondants travaillent dans des entreprises du secteur privé de 50 salariés et plus.
• Les deux échantillons constitués selon la méthode des quotas :
- au regard des critères de taille d’entreprise, de secteur d’activité et de région de résidence pour les dirigeants ;
- de sexe, d’âge, de région, de catégorie d’agglomération, de CSP, de taille et secteur de l’entreprise pour les salariés encadrés.
• Les interviews des dirigeants ont été menées par téléphone sur système CATI (Computer Assisted Telephone Interview), du 30 mars au 21 avril 2021.
• Les interviews des salariés encadrés ont été réalisées par questionnaire autoadministré en ligne sur système CAWI (Computer Assisted Web Interview), du 7 au 21 avril 2021.
• Lien pour retrouver l’étude intégrale : https://www.talentsoft.fr/ressources/etude-opinionway-x-talentsoft-le-nouveau-manager-de-proximite/