Saga Elon Musk - Twitter : « Le style managérial radical est troublant » (Ludovic Girodon)
Par Philippe Guerrier | Le | Motivation & engagement
« Avec le choc des cultures qui peut paraître brutal, le risque de déstabilisation des activités de Twitter est important à court terme », déclare Ludovic Girodon, consultant et auteur de l’ouvrage Dream Team publié en 2019.
Après de multiples rebondissements, la reprise de Twitter par Elon Musk est finalement survenue à la fin du mois d’octobre 2022.
Mais, au-delà du montant consenti pour le rachat (44 milliards de dollars), elle fait du bruit en raison de son nouveau propriétaire au profil atypique qui est arrivé avec des méthodes qualifiés de « hardcore management ».
Le multi-entrepreneur milliardaire (SpaceX, Tesla…) a pris plusieurs mesures radicales chez Twitter :
- suppression de la moitié de l’effectif (soit 3750 employés),
- fin du télétravail,
- appel à la mobilisation des équipes pour créer « Twitter 2.0 ».
Le dernier épisode ne manque pas de sel. Après avoir lancé un sondage sur Twitter pour savoir s’il devait rester ou non au poste de CEO de Twitter, Elon Musk vient d’annoncer son intention de lâcher les commandes.
Le 21 décembre, le « Chief Twit », comme il s’est auto-proclamé, évoque son retrait dans ce sens sur Twitter :
Comment en est-on arrivé à cette cacophonie ? Ludovic Girodon, consultant, formateur, conférencier, et auteur d’ouvrages sur le management (comme Dream Team sorti en 2019), apporte son analyse dans une interview.
(Adaptation d’une interview diffusée le 20/12/2022 sur News Tank RH avec réactualisation de dernière minute de l’échange dès la première question)
Comment expliquer le revirement d’Elon Musk prêt à lâcher la direction de Twitter ? Est-ce un aveu d’échec de sa part ?
Cela montre l’excentricité et la radicalité du personnage. Sa vie n’est qu’un grand jeu de poker. A moins qu’il ait truqué le sondage, ce dont je doute :-), il a tenté sa chance et il a perdu.
Comment qualifieriez-vous la reprise du management de Twitter par Elon Musk ?
Le sujet suscite beaucoup de réactions et de commentaires sur les réseaux sociaux comme LinkedIn et Twitter naturellement, sans compter que l’intéressé, Elon Musk, est le roi du buzz. Je serais moins sévère par rapport à ce que j’ai déjà lu sur ses premières décisions.
Elon Musk est conscient qu’en prenant des mesures radicales pour l’organisation de Twitter en particulier la décision de licencier la moitié de l’effectif, l’attention se portera sur lui et sur la gestion de cette société technologique américaine.
Il est trop tôt pour savoir si Elon Musk a pris de bonnes ou de mauvaises décisions. Nous devons également prendre du recul sur la culture d’entreprise à l’américaine. Ce qui choque, d’un point de vue français ou européen, est plus acceptable de l’autre côté de l’Atlantique.
Il ne faut pas mettre les décisions au même niveau. D’un point de vue de management, je ne porte pas de jugement sur le fait de se séparer de la moitié de l’effectif. Même si la méthode est surprenante : avec le choc des cultures qui peut paraître brutal, le risque de déstabilisation des activités est important à court terme. Précédemment, Elon Musk s’était déjà montré clivant dans les autres sociétés qu’il détient (SpaceX, Tesla…).
La question du télétravail marque aussi les esprits. Le fait qu’Elon Musk contraigne les employés à revenir au bureau peut troubler dans la forme, mais, dans le fond, beaucoup d’entreprises, y compris françaises, se demandent si le curseur n’a pas été placé trop loin dans l’utilisation du télétravail.
Avec le rachat de Twitter, un ancien mémo d’Elon Musk, destiné aux collaborateurs de Tesla, est réapparu à propos de règles de productivité à suivre.
Je trouve qu’elles sont valables pour toutes les sociétés, notamment celles :
- Qui invite les participants à quitter une réunion si l’on n’y contribue pas. Cela me paraît sensé pour gagner en efficacité.
- Qui recommande de casser les chaînes hiérarchiques. C’est intéressant aussi alors que les entreprises cherchent à aplatir leur organisation pour développer l’agilité et briser les silos.
En quoi cette précipitation dans la prise de décisions serait-elle stimulante pour les équipes de Twitter qui restent ?
Le style managérial assez radical peut en dérouter voire en rebuter plus d’un. Mais c’est sans doute un effet recherché par Elon Musk dont la stratégie est de rafraîchir l’ensemble des strates de Twitter en vue d’une nouvelle mobilisation pour sa nouvelle stratégie.
Le plan de suppressions de postes chez Twitter s’inscrit aussi dans le contexte de son rachat pour un montant phénoménal (44 milliards de dollars) et d’une conjoncture globale économique de plus en plus difficile avec des entreprises technologiques qui tendent à licencier en masse comme chez Meta (ex-Facebook). Mais les comparaisons sont difficiles car le cas de Twitter est très lié à la forte personnalité et aux méthodes d’Elon Musk.
Dans “L’art de bâtir une équipe”, Gérald Karsenti (Président de SAP France) présente Elon Musk comme “le profil d’un narcissique dominant” ou “comme le prototype de l’entrepreneur capitaliste et individualiste” . Qu’en pensez-vous ?
Elon Musk traîne la réputation de se montrer peu soucieux des autres voire de se montrer violent dans le travail au quotidien avec ses équipes. Ce manque d’empathie ne l’empêche pas de vouloir sauver le monde, ce qui peut sembler paradoxal. Difficile de parler de co-construction harmonieuse dans ce cas.
Mais les pratiques d’Elon Musk s’inscrivent dans l’ère de la personnalisation de l’approche des collaborateurs. Les sociétés technologiques comme Twitter à la recherche de développeurs ou d’ingénieurs talentueux sont sensibles sur ces sujets-là.
C’est la fin de l’entreprise à taille unique avec un cadre conventionnel.
En tant qu’auteur de 'Dream Team’ sur l’art de recruter et fidéliser les équipes, l’approche team building d’Elon Musk ne vous semble-t-elle pas contre-productive ?
Difficile d’évoquer actuellement la dimension de team building compte tenu des changements radicaux en cours chez Twitter. Elon Musk représente la figure emblématique de l’entreprise. C’est aux équipes de terrain d’arrondir les angles. Le renouvellement sera probablement important.
À mon avis, la prise de bénéfice et de risques par Elon Musk est surtout un coup de communication. Il pourrait changer de braquet plus tard pour apaiser les tensions.
En tant qu’utilisateur de Twitter, songez-vous à quitter le réseau social ?
Non, pas pour le moment. Elon Musk a repris les commandes de Twitter fin octobre 2022. C’est encore tout frais. Je vais suivre l’évolution, en évitant de tomber dans les pièges de la caricature et des considérations politiques.
Mi-novembre 2022, Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone, a pris la décision personnelle de quitter Twitter pour dénoncer cette “culture extrême hardcore” . C’est presque une manière de jouer le jeu d’Elon Musk pour lequel : « Il n’y a pas de bad buzz, juste du buzz. »