Emploi dans les start-ups : vers un point de bascule
Par Philippe Guerrier | Le | Motivation & engagement
Reportage France Digitale Day 2024 : avec des perspectives plus sombres de développement, la gestion RH dans les start-ups devient un sujet sensible. Entretiens avec des experts sur place.
Accrochez-vous, ça risque de tanguer. Telle est l’ambiance dans l’écosystème des start-ups en cette rentrée de septembre 2024.
Dans un contexte de morosité économique, elles doivent apprendre à se passer du financement par le capital-risque en attendant des jours meilleurs.
« La France compte 15 000 start-ups en 2024 (+3 500 en 12 mois). La French Tech résiste mais il faudra rester vigilant dans les prochains mois face aux défaillances d’entreprises », indique le cabinet d’audit EY dans l’édition de son Baromètre de la performance économique et sociale des start-ups en France, réalisé avec l’association professionnelle France Digitale qui fédère les start-ups et les capitaux-risqueurs.
Plusieurs indicateurs montrent que le dynamisme perd de sa vigueur, ce qui a un impact sur l’emploi et la gestion RH des start-ups.
- Statistiquement, les montants des levées de fonds au 1er semestre 2024 restent stables en France par rapport au 1er semestre 2023. Soutenue par quelques tours de table d’envergure, les montants et le volume d’opérations de financement ont tendance à diminuer, indique Franck Sebag, Associé, Assurance, Fast Growing Companies leader, Europe West chez EY en décortiquant les principales tendances de ce Baromètre de la performance économique et sociale des start-ups en France.
- Selon une étude réalisée par la Banque de France sur la santé financière des start-ups françaises en 2023 (avec des données prolongées jusqu’à juin 2024 selon une enquête de La Tribune diffusée le 30 août 2024), 129 start-ups matures ont fait faillite en 18 mois :
- 76 sur l’année 2023,
- 53 sur le premier semestre 2024.
Emploi dans les start-ups : un rythme des recrutements revu au compte-goutte
L’écosystème des start-ups tient à afficher une certaine vitalité lors de l’événement France Digitale Day organisé à Paris le 18 septembre 2024 malgré les nuages sombres qui apparaissent.
« A travers le Baromètre France Digitale x EY 2024, nous voyons toujours une tendance à la création de l’emploi dans les start-ups : + 40 000 emplois nets dans les 12 derniers mois. Mais nous devrions observer une baisse dans les 12 prochains mois avec 30 000 emplois créées », indique Marianne Tordeux Bitker, Directrice des Affaires publiques de France Digitale.
« Les start-ups se retrouvent à un point de bascule dans un contexte économique plus compliqué. Il existe désormais 2 chemins de développement pour les start-ups :
- soit l’hyper-croissance, qui suppose des plans de recrutement importants,
- soit la recherche de rentabilité. Dans ce dernier cas, la gestion RH ressemble à celle des PME classiques avec des recrutements davantage réalisés au compte-goutte », déclare Marianne Tordeux Bitker, également conseillère au CESE.
Le radar des défaillances est scruté mais la directrice des Affaires publiques de France Digitale a tendance à relativiser.
« Actuellement, nous parlons beaucoup des faillites de start-ups mais cette dimension fait partie de leur cycle de vie avec l’appui de fonds de capital-risque, qui, comme son nom l’indique, intègre une dimension de risque d’échouer. »
Gestion RH plus prudente dans les scale-ups
Adaptation au nouveau contexte économique
Par définition, une scale-up est une start-up qui se développe à vitesse grand V. Avec l’appui des fonds de capital-risque qui injectent parfois des centaines de millions de dollars dans ces pépites, les volumes de recrutement peuvent se compter par centaines.
Mais dès que la conjoncture tourne en leur défaveur, il faut redevenir plus raisonnable en termes de cadence d’onboarding voire procéder à des licenciements.
« Les scale-ups vont changer leur méthode de recrutement en se concentrant davantage sur la recherche de profils d’experts plutôt que des couteaux suisses. Les DRH sont challengées sur les postes ouverts avec une approche davantage ROI », déclare Margaux Flamant, Responsable animation et développement - Communauté Scaleup de France Digitale.
Evolution du profil du responsable RH avec la croissance de la start-up
- « Pour accompagner le développement RH des start-ups, le profil de Talent Acquisition Manager est souvent intégré en premier pour gérer les recrutements. Il peut ensuite devenir Head of Talent Acquisition puis DRH pour intégrer la dimension de gestion des talents. Il est possible aussi de recruter directement un DRH senior donc plus expérimenté dans un autre secteur d’activité », indique Margaux Flamant.
- « Je connais une scale-up qui dispose d’un effectif de 500 personnes sans avoir intégré un poste DRH. C’est une tendance à suivre dans ce type d’entreprise : il n’existe pas de fonction RH centrale mais des fonctions People apparaissent dans toutes les verticales métiers », observe-t-elle.
Gestion RH dans les start-ups : l’accompagnement et le suivi par France Digitale
« • France Digitale se charge de favoriser de mettre en relation les profils des talents dans le numérique avec les entreprises qui recrutent. Pour retrouver facilement de l’emploi dans le secteur numérique et aider les talents qui ont été remerciés dans des start-ups, nous avons créé en janvier 2023 une plateforme Mercatech, accessible à tous à partir du site Internet France Digitale, pour faciliter la jonction entre les demandeurs d’emploi et les entreprises technologiques qui recrutent », indique Margaux Flamant.
« • Nous avons un cercle RH qui se réunit chaque mois au sein de France Digitale pour partager les bonnes pratiques entre les membres de l’association. Nous organisons aussi des rencontres en cercles croisés avec d’autres fonctions comme les DAF et disposons d’un réseau de partenariats avec une dizaine d’écoles (écoles de commerce, d’ingénierie, universités…) », indique Marianne Tordeux Bitker.
• « Nous avons beaucoup œuvré à la création du programme French Tech Visa pour faire venir les talents internationaux sous forme d’une procédure accélérée, accessible aux start-ups françaises. Nous allons maintenant nous battre pour qu’il soit maintenu et non détruit dans le cadre de débats parlementaires », précise Marianne Tordeux Bitker.
• Dernière initiative signalée dans le cadre de France Digitale Day : le lancement d’un Baromètre RH « pour essayer de comprendre quelle est la place stratégique des DRH dans les Comex des scale-ups », indique Margaux Flamant.
Freelancing : le plan B à côté du recrutement pour un poste à temps plein
Toujours dans le cadre de la France Digitale Day, on retrouve Vincent Huguet, CEO de Malt, sur le stand de la plateforme de mise en relation entre les entreprises et les freelancers.
- « Les start-ups doivent être agiles pour se développer rapidement. Un cycle normal de recrutement prend au moins 6 mois alors que le recours à un freelance prend seulement 6 jours, pour des missions pouvant s’étendre sur plusieurs mois.
- La question du délai et de la disponibilité rapide ou non d’un expert peut peser dans les décisions de gestion RH. Nous estimons que 15 à 20 % des effectifs des scale-ups sont des collaborateurs en freelance.
- En cette période économique tendue pour les start-ups, il est difficile de créer un poste à temps plein pour toute nouvelle fonction ou besoin identifiés en entreprise. Lorsqu’une start-up lance un nouveau pays, est-il nécessaire de créer un emploi à temps plein ? C’est davantage une question de flexibilité que de coût », déclare Vincent Huguet.
Le recours à des formules de management de transition peut également se révéler précieux quand la situation économique devient plus tendue.
« A un degré de management supérieur, nous voyons à travers notre verticale Malt Strategy une tendance similaire dans le management de transition, avec le recours à des profils de CFO notamment qui peuvent être opérationnels rapidement, en évitant des circuits traditionnels de recrutement plus long », déclare Vincent Huguet.
Le point de vue de la start-up HR Tech : Gojob
« Globalement, nous avons un turn-over faible dans nos équipes de développement car nous sommes en mesure de les fidéliser en les faisant travailler sur des sujets IA en profondeur. Personne ne fait du développement sur l’IA et le recrutement en France aussi poussé que Gojob », assure Benjamin Vallat, Deputy CEO de Gojob, l’agence numérique d’intérim qui développe son assistant IA dédié au recrutement (Aglae), lors d’un entretien réalisé sur le corner de la start-up sur France Digitale Day.
« Pour les cycles de recrutement, tout dépend des stacks de développement. Il faut compter sur un cycle normal de recrutement de 2 à 3 mois dans la Tech mais la recherche peut s’échelonner sur 6 mois pour des profils IA pointus. C’est la même chose pour le recrutement des équipes commerciales que l’on retrouve beaucoup sur le terrain », précise-t-il.
Le point de vue d’un expert en financement des start-ups
« • La vague récente de faillites parmi les start-ups françaises peut être attribuée à plusieurs facteurs clés liés à la gestion des dépenses et à la pression sur la croissance. Tout d’abord, l’augmentation des taux d’intérêt a compliqué l’accès au financement pour ces jeunes entreprises, qui étaient déjà sous pression pour croître rapidement plutôt que d’atteindre la rentabilité. Cela a conduit à des valorisations exagérées et à une course effrénée pour le développement.
• Dans ce contexte, de nombreuses start-ups ont fait des erreurs de gestion, notamment en matière de ressources humaines et de communication. En se précipitant pour se développer, certaines ont mal géré leur politique de recrutement, avec des coûts importants associés à des embauches mal ciblées. De même, elles ont investi massivement dans des campagnes de communication coûteuses sans garantir un retour sur investissement suffisant.
• Cette gestion précipitée et souvent inefficace des fonds a conduit à des dépenses excessives et à un épuisement rapide des ressources. Par ailleurs, le manque d’expérience de certains jeunes entrepreneurs a exacerbé ces problèmes », commente Claude Calmon, fondateur du cabinet Calmon Partners qui accompagne les start-ups françaises dans leurs levées de fonds, dans un mail envoyé à la rédaction la veille de l’organisation de France Digitale Day.
Concepts clés et définitions : #DRH ou directeur des ressources humaines, #Onboarding ou l’accueil des nouveaux employés