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Laurent Combalbert, The Trusted Agency : « La gestion RH au coeur des situations extrêmes »

Par Philippe Guerrier | Le | Motivation & engagement

Après 25 ans de gestions de crises (notamment à travers son statut d’officier négociateur dans le RAID), Laurent Combalbert a fondé The Trusted Agency sur le thème du management basé sur la confiance.

Laurent Combalbert, fondateur de The Trusted Agency - © D.R.
Laurent Combalbert, fondateur de The Trusted Agency - © D.R.

C’est un profil atypique dans la sphère RH : Laurent Combalbert, ex-officier négociateur du RAID, a créé en 2020 The Trusted Agency sur le thème du management par la confiance comme facteur de stabilité.

Au-delà de l’organisation de conférences et de formation, la société conseil fédère une agence d’experts issus de divers horizons (police, médecine, armée…) pour gérer des situations de tensions ou complexes dans les entreprises.

« Après 25 ans d’actions et de gestions de situations de crises, pour le compte de la police ou d’entreprises du secteur privé, dans des affaires de kidnapping ou des tentatives d’extorsion, j’ai voulu prendre du recul et travailler davantage sur le thème de la confiance », explique Laurent Combalbert.

Il a cédé les parts de son ancienne société ADN (« agence de négociateurs professionnels ») à son associé Marwan Méry. « Chez ADN, je travaillais davantage sur des négociations tendues liées à des opérations de fusions-acquisitions. Avec TTA, je reviens à mes premières amours, c’est-à-dire à la gestion de crises ou de situations plus tendues qu’auparavant en raison de la crise Covid-19. »

Les dossiers concernent des groupes, des ETI ou de grosses PME. Depuis le début de la crise sanitaire, The Trusted Agency a mené une trentaine de missions.

Voici une déclinaison de l’interview de Laurent Combalbert accordée à notre média partenaire News Tank RH. 

Dans quels types de circonstances intervenez-vous avec The Trusted Agency ?

« Notre rôle est d’intervenir lorsqu’un problème de confiance se pose dans l’entreprise et la sphère d’intervention est assez large. Nous pouvons agir sur différents types de crises de confiance :

  • crise de confiance sur la vision de l’entreprise au sein d’un Comex ;
  • crise de confiance au sein d’une équipe qui ne croit plus en ses missions.

Nous sommes intervenus au sein d’une équipe pendant la crise sanitaire : une équipe, au sein d’une organisation, s’est demandée si le travail qu’elle devait effectuer était vraiment nécessaire et s’il fallait prendre des risques pour la santé des collaborateurs et susceptibles d’affecter leurs cercles familiaux.

Dans certaines entreprises, au début de la crise sanitaire, les équipes en présentiel ont également commencé à pointer du doigt l’écart entre la situation des salariés qui travaillaient en distanciel et celle des télétravailleurs. Le télétravail était perçu comme un privilège.

Dans quelle mesure la crise Covid-19 a-t-elle aggravé la crise de confiance ?

De mon propre point de vue, cela peut se traduire sous deux formes :

  • des entreprises ont cherché à gagner plus d’argent, quitte à tordre le cou de leurs partenaires ;
  • des entreprises sont victimes de certains acteurs prédateurs qui profitent de leur faiblesse économique ou des doutes émis par des actionnaires ou des membres de conseils d’administration pour lancer des opérations de déstabilisation par débauchage par exemple. Ainsi, j’ai récemment travaillé pour un grand groupe dont l’un de ses managers importants avait reçu une offre de débauchage de la part de son concurrent.

La confiance efficace se construit par temps calme, pas dans l’action en situation de crise. Nous organisons des conférences pour sensibiliser les collaborateurs sur le thème : gérer l’incertitude. Les universités d’entreprises devraient disposer de l’ouvrage « La complexité humaine » d’Edgar Morin. La confiance en soi repose sur l’acceptation de l’incertitude.

Nous avons aussi beaucoup de demandes sur la manière de ressouder la confiance dans les équipes ou dans l’organisation hiérarchique, au-delà des sessions de team buildings réalisées pour le fun.

Comment chacun peut se mettre au service du collectif pour gérer autrement la prochaine crise imprévue ? Comment consolider la confiance entre collaborateurs, une fois le premier pas accompli ? Comment réaligner les managers et les collaborateurs sur les objectifs communs après une période de tension ?

La perception de la crise a changé depuis son émergence début 2020. Nous étions tous initialement en phase de cataplexie avec les yeux grands ouverts comme un lapin devant les phares d’une voiture. Désormais, nous ressentons la nécessité de bâtir une croissance forte à travers des partenariats solides. La crise est le meilleur révélateur de talents et la meilleure prise de conscience collective. 

En termes d’expériences RH en situation de crise, quels cas traitez-vous ?

La confiance se négocie par des objectifs communs partagés

Cela peut se traduire par la nécessité de remobiliser des équipes qui ont des rôles essentiels dans la société. Que fait un DRH quand un manager lui signale que des membres de son équipe refusent de travailler par peur de la contagion Covid-19 ? C’est normal d’avoir peur en raison de ce virus potentiellement mortel. Dans ce cas, comment canaliser cette émotion légitime afin de la transformer en énergie pour se remobiliser ?

Nous avons rencontré aussi des cas de tensions RH liées à l’opposition des employés sur le terrain et ceux en télétravail sur fond de menace de grèves ou de droits de retraits. Cela passe évidemment par l’instauration de mesures de protection sanitaire sur site mais aussi par la remobilisation des effectifs moyennant l’acceptation de l’émotion.

Il faut bien distinguer la sympathie (sous l’angle « Je t’interdis d’avoir peur de la Covid-19 ») de l’empathie (« Je partage cette peur mais il faut la dépasser »). L’émotion est présente mais il faut éviter qu’elle prenne le pas sous peine de perdre son objectivité.

L’empathie, c’est la clé de la relation que ce soit dans un cadre de négociation, de gestion de crise ou de management.

Mais cela demande de la subtilité : comment être empathique sans être sympathique ? La confiance passe par la relation et la relation passe par l’empathie. La confiance se négocie par des objectifs communs partagés. C’est un asset qu’il faut préserver.

Quel est le rôle du DRH dans ces situations de gestion de crise ?

C’est notre interlocuteur de référence. Sur la trentaine de missions gérées depuis la crise, 95 % d’entre elles concernent la gestion RH avec le CEO dans la boucle. Les DRH gèrent la matière humaine qui est la plus sensible. Les plus récentes formations de TTA leur étaient directement adressées.

Nous ne présentons pas nos prestations comme du coaching mais comme une sorte d’accompagnement ou une assistance de Codir sur des situations tendues ou des crises avérées comme une tentative de suicide sur site.

Dans ce cas, il faut collaborer avec le DRH pour que la pression ne monte pas davantage en interne et remettre de la confiance alors que certains employés évoquaient un lien entre la tentative de suicide et les conditions de travail. Ce qui n’était pas le cas pour notre intervention.

La confiance ne se décrète pas. Comment l’apporter au sein d’une organisation ?

Nous développons un « index personnel de conscience », qui intègre le « quotient d’insécurité intérieure ». Ce qui commence par l’acceptation de l’incertitude et la prise de conscience d’un monde complexe.

Les trois principaux indicateurs pour évaluer la confiance en soi portent sur :

  • l’acceptation de l’incertitude ;
  • la gestion des émotions ;
  • la gestion du stress.

Cela ressemble à du bon sens. Nous disposons d’un petit test qui permet de mesurer l’appétence individuelle à l’incertitude :

  • 95 % des gens ont un mode de fonctionnement par anticipation, par préparation et par procédure ;
  • 5 % apprécient une situation d’incertitude à travers laquelle ils ne maîtrisent pas tous les éléments.

J’ai suivi une formation de négociateur de crise à la National Academy du FBI de Quantico. À la fin, un gros classeur censé intégrer toutes les situations possibles m’a été remis. C’était rassurant mais, revenu en France, je ne l’ai jamais ouvert. Il vaut mieux s’adapter en fonction des circonstances.

Avec la crise persistante, prévoyez-vous une augmentation en hausse de situations extrêmes à gérer en entreprise ?

Oui. Les sollicitations auprès de TTA ont augmenté de 100 % depuis mi-décembre 2020 en lien avec des prestations d’accompagnement sur des plans de restructuration et de plans sociaux. Désormais, des sociétés se rendent compte qu’elles ne pourront pas s’en sortir sans passer par des licenciements.

Les RPS ne concernent pas que les salariés. Cela arrive aussi aux patrons de PME familiales parfois obligés de se séparer de collaborateurs proches en raison d’une situation financière qui s’est fortement dégradée. Un passage obligé pour sauver la boîte.

Les outils digitaux de TTA

The Trusted Agency exploite un test de niveau de confiance disponible en ligne « TTA Confidence 360 » à partir de cinq leviers de variations de confiance :

• en soi ;
• dans la hiérarchie ;
• dans l’histoire ;
• dans la mission ;
• dans l’équipe.

« Nous proposons aussi des formations en ligne de type master class disponibles à partir d’une plateforme que nous avons développée en propre. C’est un gros investissement mais nous sommes propriétaires de l’outil. Certaines master classes sont cobrandées avec nos clients », précise Laurent Combalbert.

En termes de R&D, The Trusted Agency travaille sur les biais cognitifs en situation de stress et sur des travaux de détection et de gestion des émotions.