Jean-Noël Barrot, ministre Transition numérique et Télécoms : « Vers une GPEC numérique de la Nation »
Par Philippe Guerrier | Le | Motivation & engagement
Exclusif News Tank RH - RH Matin : interview de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications. Au programme : GPEC, priorité des dossiers RH, impact IA sur l’emploi, formation et parité dans la Tech.
Quels dossiers RH prioritaires dans le secteur numérique avez-vous pris en main depuis votre prise de fonction gouvernementale en juillet 2022 ?
Nous avons ouvert un chantier pour répondre à la promesse du candidat Emmanuel Macron en 2022 [mandat renouvelé en tant que Président de la République], visant à former 400 000 experts du numérique de plus à l’horizon 2027.
Nous disposons de différents outils comme :
- la réforme du lycée professionnel,
- la création d’un Bac Pro cybersécurité,
- le grand plan d’investissement France 2030 qui va consacrer 2,5 milliards d’euros aux compétences et aux métiers d’avenir.
À l’occasion du récent salon technologique VivaTech 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé une subvention de 71 millions d’euros pour 9 projets de formation via un appel à manifestation d’intérêt (AMI) dédié aux compétences et aux métiers d’avenir dans le cadre de France 2030.
Pour que ces moyens soient alloués le plus efficacement possible vers la création de places de formation, il convient d’identifier les tensions de recrutement dans le secteur numérique.
C’est l’objectif de la mission que j’ai lancée début 2023 pour déterminer par zones géographiques, par métiers et par niveaux de compétences les besoins non pourvus nécessaires aux entreprises. Les conclusions seront connues à la fin de l’été 2023.
L’objectif est de disposer d’une GPEC numérique de la Nation pour éclairer les décisions à prendre sur l’appareil public de formation et sur l’allocation des moyens.
Comment percevez-vous l’impact de l’intelligence artificielle sur le marché de l’emploi ?
L’IA va modifier un certain nombre de métiers en profondeur. Elle va permettre de se débarrasser de tâches répétitives et fastidieuses et de générer des gains de productivité.
Une étude sérieuse menée par des chercheurs du MIT a démontré comment l’intégration d’un système de dialogue, fondé sur des grands modèles de langage (LLM en anglais), permet d’augmenter la productivité de 14 % au sein d’un service client d’une grande entreprise de logiciels au bénéfice des collaborateurs concernés. C’est une illustration de l’apport de l’IA générative dans le monde du travail.
L’essor de l’IA suscite aussi des craintes des travailleurs qui craignent de perdre leurs emplois avec l’automatisation des tâches. Comment les rassurer ?
- Charge aux entreprises et à la puissance publique d’inciter les collaborateurs à se saisir de ces nouveaux outils IA, à se familiariser avec le potentiel d’exploitation, et ce, afin d’en disposer une maîtrise totale plutôt que d’en subir les conséquences. Les technologies doivent rester au service de l’homme.
- Il en va de notre responsabilité de fixer le cadre de développement de l’IA qui respecte les données personnelles, la vie privée, les droits d’auteur et la propriété intellectuelle, qui limite son dévoiement et qui permet d’améliorer la vie quotidienne de nos citoyens sans entraîner de dérive vers une forme de déshumanisation ou d’assujettissement technologique.
Comment sensibiliser à l’échelle les Français aux enjeux de l’IA ?
Il faut montrer à nos concitoyens en quoi leur vie quotidienne va changer avec les grands modèles de langage et l’IA générative. Ces technologies devraient avoir un impact favorable pour un accès plus rapide et personnalisé au patrimoine informationnel et à la connaissance mais aussi aux services commerciaux et publics.
Il est arrivé que la numérisation et la dématérialisation de démarches administratives soient vécues comme un vecteur d’exclusion pour un certain nombre de nos concitoyens. L’IA générative porte une promesse : une accessibilité simplifiée des services publics à travers la voix et la langue française.
Ces outils restent à forger mais ils permettront de démontrer tous les bénéfices associés à ces modèles en vue d’une adoption large par les Français.
À travers le projet REFCO-IA, Hub France IA et Numeum élaborent un référentiel ouvert des métiers de l’IA. Considérez-vous que cette démarche d’éclaircissement sur les profils des postes dans l’IA soit essentielle ?
Il est toujours utile de disposer de référentiels métiers, même s’ils évoluent à grande vitesse.
- Depuis cinq ans sous l’impulsion du Président de la République et après la parution du rapport de Cédric Villani en 2018 [mathématicien et ancien député], nous avons aussi beaucoup investi pour développer les formations IA, notamment à travers les Instituts Interdisciplinaires d’Intelligence Artificielle (3IA).
- Nous allons poursuivre cet investissement. Parmi ses atouts, la France a un gisement extraordinaire de talents de l’IA, des communs numériques, des jeux de données et d’entraînement pour de grands modèles de langage basés sur la langue française.
- À VivaTech, le Président de la République a aussi annoncé :
- un renforcement de la puissance de calcul du supercalculateur Jean Zay,
- l’organisation d’un grand challenge IA, à l’image de ce que le National Institute of Standards and Technology (NIST) organise aux États-Unis. Ce qui permettra aux équipes de recherche françaises d’attirer toute l’attention qu’elles méritent.
Usage de ChatGPT d’OpenAI à titre individuel
« • Il m’arrive de l’utiliser à titre d’expérimentation pour voir la capacité sous-jacente du modèle, y compris à des fins de recherche. J’en arrive à la conclusion de mes propres essais que les modèles d’IA générative vont permettre d’accélérer la recherche, notamment universitaire.
• Il n’est pas question de les interdire. Étant moi-même chercheur en sciences humaines par profession, je passais une grande partie de mon temps à la constitution de jeux et de bases de données.
• Les modèles d’IA générative vont permettre d’accélérer considérablement ce travail. Ce qui libérera davantage de temps aux chercheurs pour travailler sur de nouvelles hypothèses et de stratégies pour les tests », déclare Jean-Noël Barrot.
En France, il existe un foisonnement d’organismes de formation aux métiers du numérique et d’écoles de la 2ème chance. Mais c’est compliqué de s’y retrouver au regard des offres d’apprentissage, des modèles, et des cibles. Souhaiteriez-vous un éclaircissement de ce paysage ?
Des initiatives ont très bien marché en France, comme le démontre les 10 ans de l’Ecole 42 que l’on vient de célébrer, ou les 10 ans de Simplon. De nouvelles apparaissent comme La Plateforme qui vient d’être inaugurée à Marseille.
Ces initiatives privées ont montré la capacité à former des profils issus de tous horizons et de passer à l’échelle.
Il est important que la France puisse adapter son appareil de formation par rapport aux besoins exprimés par les entreprises.
Comment favoriser la mixité dans le secteur du numérique ?
Il subsiste des problèmes majeurs comme la manière d’attirer les femmes vers les métiers du numérique. Dans des segments comme la cybersécurité, nous sommes loin de la parité avec seulement 11 % de femmes.
- Le 08/03/2023, la Première ministre a évoqué plusieurs mesures dont :
- l’objectif de parité dans les filières scientifiques d’ici 2027,
- la création du programme « Tech pour toutes » de bourse et d’accompagnement pour les jeunes filles et les jeunes femmes qui veulent s’engager dans les métiers et les carrières scientifiques en général et numériques en particulier. Il sera enclenché à la rentrée prochaine.
- Si la question de la parité est centrale, il y a aussi celle de l’orientation. Il ne suffit pas d’ouvrir des places dans les formations numériques, encore faut-il les remplir. Il faut donner envie aux jeunes filles et garçons de se lancer.
- La généralisation en 5e de la demi-journée « Avenir professionnel » à organiser toutes les 2 semaines, évoquée fin juin lors de la visite du Président de la République à Marseille, et la réforme des lycées professionnels qui s’ouvrent à l’alternance, permettront de progresser.
- Il faut évidemment que les entreprises prennent toute leur part à cet effort national à mener pour l’orientation.
Le plus important pour attirer les jeunes filles dans le secteur du numérique est de faire connaître l’étendue des métiers, qui dépasse la cryptographie avancée, et de donner des modèles de femmes qui évoluent dans l’entrepreneuriat tech pour démontrer que ce type de carrière leur est accessible et que tout est possible dans le numérique.
- « Nous avons à la tête de la première entreprise de télécommunications de France une femme (Christel Heydemann, CEO d’Orange). C’est aussi désormais le cas avec l’une des principales organisations professionnelles du numérique (Véronique Torner, nouvelle présidente de Numeum).
- Les acteurs du numérique se prennent en main à travers diverses initiatives comme :
- le collectif SISTA,
- celle portée par la Mission French Tech avec son Pacte Parité,
- la Fondation Femmes@Numérique désormais présidée par Élisabeth Moreno (ex-ministre de l’Égalité femmes-hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances sous le gouvernement de Jean Castex).
- Des leviers publics comme légaux existent et servent d’aiguillon. Par exemple l’index d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ou la Loi Rixain qui va progressivement faire cheminer la parité dans les organes de direction des entreprises. »
Interview réalisée le 10 juillet 2023 au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
Concepts clés et définitions : #GPEC ou Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences